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européenne n’eût pas cessé de se faire sentir d’une manière régulière et continue au Caire comme à Constantinople, le principe général qui, par une convention acceptée de tous, préserve le maintien de l’intégrité de l’Empire ottoman aurait prévalu, là comme ailleurs, et l’Angleterre n’aurait pas eu la facilité d’y porter, par une prise de possession prolongée, une atteinte peut-être irrémédiable. Mais pour l’y rappeler aujourd’hui, après lui avoir permis de méconnaître cette règle pendant quinze années, il faudrait probablement ajouter quelque chose à la force morale du principe et à l’autorité persuasive des notes diplomatiques je ne vois pas encore quel congrès ou quelle conférence serait d’humeur à se charger de cette besogne ingrate et moins encore quel en serait l’exécuteur.

Quoi qu’il en soit, l’issue malheureuse de la première transaction importante dont la France, depuis ses revers, avait pris l’initiative, et où elle avait prétendu jouer un rôle actif causa, chacun peut se le rappeler, une très pénible déception. L’impression devint plus vive encore quand on vit l’Angleterre achever en un tour de main son opération isolée et puis la célébrer d’un ton de triomphe légèrement ironique qui faisait regretter davantage d’avoir manqué à si peu de frais l’occasion d’en prendre sa part. On se demanda si le mauvais sort qui avait atteint la France en Europe allait donc la suivre dans toutes les parties du monde. Le gouvernement républicain se sentit atteint dans son principe par cette défaveur de l’opinion ; et ce fut, sans doute, pour distraire l’attention publique et la détourner vers de plus flatteuses perspectives que le premier ministre qui prit la parole officiellement après cette triste aventure (ce n’était pas celui qui y avait été compromis) crut devoir annoncer la présentation de plusieurs projets de lois ayant pour but d’assurer le développement de notre empire colonial[1].


III

L’expression était significative, car elle aurait pu paraître ambitieuse s’il s’était agi seulement démesures destinées à favoriser et à développer la prospérité de nos colonies déjà existantes, d’Algérie, du Sénégal, de Cochinchine, de la Nouvelle-Calédonie, auxquelles, quelle que soit leur étendue et leur valeur, le nom d’empire ne pourrait être appliqué sans exagération. Il s’agissait évidemment d’un autre dessein : c’était la pensée de donner une prompte et notable extension par voie d’acquisition ou de

  1. Déclaration du gouvernement lue par M. Duclerc, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, le 2 novembre 1882.