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dans l’urgence où l’on se trouvait, les titres des candidats ; et Gambetta comme les autres membres du gouvernement n’avait de rapports qu’avec ses compagnons de profession et de parti. Plus de soixante préfets étaient des avocats ; les autres, pour la plupart, des journalistes et des médecins. A des fonctions qui devaient être surtout militaires, un seul militaire de profession fut appelé. C’était Valentin, ancien sous-lieutenant de 1848. Son ardeur républicaine et vingt ans d’exil avaient effacé la tache originelle. D’ailleurs on le nommait à Strasbourg, où il fallait pénétrer à travers les lignes ennemies, et le poste eut peu d’envieux. Ainsi la défense nationale se trouva confiée, dans chaque contrée de la France comme au centre, aux hommes les moins faits pour la servir.


V

Tels furent les premiers actes du gouvernement. Rarement hommes mirent autant de hâte à se tromper, et se trompèrent de manière plus grave. Ces mesures n’étaient pas seulement des erreurs, mais de ces erreurs directrices qui égarent à leur suite toute la destinée d’une entreprise, entraînant les événemens liés à elles comme des captifs, et qui ouvrent un long avenir de maux.

Créé pour défendre la France, le gouvernement n’avait pas su assurer à cette défense l’unité qui est la condition de la force. Il avait deux fois compromis cette unité.

Au lieu d’une seule armée, — où tous les Français en âge de combattre se seraient préparés par la même discipline, la même éducation, la même existence, et sous la direction d’une même hiérarchie, à la solidarité de leur devoir commun, — deux armées allaient coexister, celle des soldats et celle des citoyens : l’une sous la main de l’autorité militaire ; l’autre sous la main du pouvoir politique, chacune avec sa hiérarchie séparée, une discipline différente, un esprit contraire, chacune persuadée que l’autre était un obstacle au salut du pays. Ce dualisme entraînait immédiatement, entre les deux armées, des jalousies, des dédains, des défiances, des haines ; entre les deux pouvoirs, des incertitudes d’attributions, des conflits de volontés, un partage capricieux des ressources nationales. De plus, comme l’ordre naturel des choses, quand il est troublé par de fausses combinaisons, tend de lui-même à se rétablir, chacun des deux pouvoirs, gêné par l’autre, était obligé de le subordonner pour devenir libre. Dès lors si l’équilibre de leur autonomie survivait, il attesterait seulement leur impuissance égale à l’emporter l’un sur l’autre ; si l’unité se