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plus importantes, et où tous les membres du gouvernement tenaient davantage à collaborer. Pour tous il s’agissait d’empêcher que la politique la meilleure à leur sens fut mise en échec par les serviteurs d’une politique différente. Pour tous, Trochu excepté, il s’agissait d’obtenir que les hommes désignés par eux fussent choisis. La politique a ses droits, aussi l’amitié, aussi la parenté : chacun d’eux a des protégés qu’il veut pourvoir et surtout qui veulent être pourvus. Dès la première séance du gouvernement, le portefeuille de Gambetta a commencé à se gonfler des notes que ses collègues, à peine assis sur leurs sièges de gouvernement, rédigent en faveur de candidats aux préfectures, et la liberté de ses choix trouva sa limite dans l’instance des sollicitations. Malgré tout il garde dans ces débats de personnes l’avantage de celui qui prépare une œuvre d’ensemble, avec des vues générales et d’après des informations précises. Ne fit-il pas agréer toutes les candidatures voulues par lui, il doit l’emporter le plus souvent, grâce à la lassitude qui empêche les adversaires mêmes de contredire sans cesse, grâce aux tolérances qu’il obtient en échange des faveurs qu’il accorde, grâce à l’ignorance de ses collègues sur les situations locales qu’il affirme.

L’embarras de choisir ne fut pas mince, car notre première levée de volontaires fut celle des candidats : c’est par leur ténacité à occuper les approches du pouvoir, qu’ils se formèrent d’abord à la vie de siège et pratiquèrent un art, inconnu aux Vauban, de prendre les places[1]. Paris et les provinces luttèrent à qui fournirait un plus grand nombre de solliciteurs, tous réclamant leur part comme leur dû, quelques-uns avides seulement pour leur parti et désintéressés d’ambition personnelle. A Paris l’opposition républicaine avait son centre et son état-major ; cet état-major avait dirigé la campagne contre l’empire, aidé à la diffusion des idées libérales, à l’organisation du parti démocratique, au succès des candidatures indépendantes. C’est sur ces auxiliaires que le regard de ces députés devenus les maîtres devait tomber d’abord et la plus grande partie des préfectures fut pour eux. La province aussi avait ses droits. Dans nombre de départemens, l’opposition sans vaincre avait lutté, et ses candidats, mis par ces luttes mêmes en rapports avec les députés de Paris, avaient été assez longtemps à la peine pour être enfin à l’honneur. Dans les départemens

  1. Le lendemain (6 septembre), visites. Je ne vais rien demander dans ces ministères ; j’apporte de bons renseignemens et, je crois, de bons avis. Partout une foule de quémandeurs, de solliciteurs, une curée. Je retrouve là des bonapartistes, qui abandonnent celui qu’ils servaient platement, des laquais de tous les partis. Quelle nausée ! » (Claretie, Paris assiégé, p. 2 ; Lemerre, 1871.)