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républicains que les populations à administrer. Il ne s’agissait pas de satisfaire, mais de diriger l’opinion publique.

Gambetta savait que ces choix n’avaient pas chance d’être dans leur ensemble agréés par le gouvernement. Comme il les croyait politiques, et nécessaires pour acheter des factions turbulentes la paix ou du moins une trêve, il résolut de prévenir l’opposition de ses collègues en ne les consultant pas, et de mettre ses contradicteurs en face d’un fait accompli. Le gouvernement ne connut les candidatures des nouveaux maires qu’en lisant leur nomination dans le Moniteur du 6 septembre.

Le même matin, au conseil, la protestation éclata. Trochu se plaignit qu’un procédé si contraire au droit et à la confiance eût servi à imposer certains choix, « défis véritables à l’opinion. » Ernest Picard demanda que ces nominations fussent cassées, et les anciens maires rétablis. Gambetta savait la majorité de ses collègues incapable de pousser la fermeté jusque-là : car, en destituant ces maires, ils eussent provoqué l’inimitié d’hommes qui avaient été leurs agens électoraux hier, et qu’ils avaient besoin de se ménager pour l’avenir. D’ailleurs les violences démagogiques ou antireligieuses des plus exaltés parmi ces maires n’étaient que les réalisations brutales mais logiques des doctrines professées par plusieurs dans le gouvernement. Le seul péril pour le ministre de l’intérieur était la première colère des amours-propres, plus blessés que les principes, et plus exigeans. Gambetta s’ingénia à les calmer, s’excusa sur l’urgence, et promit de mieux respecter désormais la prérogative de ses collègues. Dans le conseil divisé, on transigea d’abord, et, les uns consentant à ne pas annuler sur l’heure les nominations, les autres à les tenir pour provisoires, tous s’accordèrent à décider que les maires seraient élus à bref délai. Mais le parti avancé, conscient d’avoir obtenu par la volonté du ministre plus que ne lui donnerait le vote de Paris, dépêcha le lendemain au conseil Etienne Arago et Floquet. Ils combattirent les élections comme une menace contre le gouvernement lui-même. Il n’avait pas été consacré par un vote. Quelle autorité lui resterait en face d’un municipe élu par la capitale ? Il n’y avait qu’une réponse à l’argument : décider que la France choisirait aussi ses mandataires. Faute de se soumettre lui-même au vote, le gouvernement ne pouvait autoriser Paris à nommer ses maires. La décision de la veille fut rapportée, et les choix de Gambetta se trouvèrent définitifs.

Dès le 5 septembre, il avait aussi commencé à pourvoir aux préfectures. Ici les noms des candidats furent soumis au conseil. Celui-ci traita ces nominations comme une de ses affaires les