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inexpérience, aspirait avec toutes les angoisses de l’esprit, tout l’élan de l’imagination, toute la force de la conscience à connaître les moyens de résistance et les secrets de victoire. Son attitude sollicitait, implorait toutes les charges, toutes les servitudes qu’il sentait d’instinct nécessaires, et qu’il se savait incapable de choisir lui-même. Il ne pouvait être déçu et découragé que de n’avoir pas assez à agir, à souffrir. Et plus les épreuves proposées à son patriotisme eussent été rigoureuses, plus sa confiance eût grandi en lui-même et dans ceux qui auraient pris au sérieux son dévouement.

Il y eut là, au lendemain de la Révolution, un de ces instans où la nature s’élève au-dessus de son égoïsme, une de ces opportunités fugitives offertes aux gouvernemens pour obtenir de l’enthousiasme les mesures capables de survivre à l’enthousiasme, et de le suppléer.

Ce n’est pas dans la nation, c’est dans le gouvernement que fut l’obstacle aux mesures de salut. Par leurs origines et leurs affections tous les hommes du 4 septembre, sauf un, étaient hostiles à l’autorité militaire et liés à Paris. Encore, leurs préjugés n’étaient pas invincibles, et si forte que fût leur majorité, elle attendait de l’homme étranger à elle les résolutions décisives. Par cela même qu’elle n’avait pas disputé à Trochu la première place, elle lui avait reconnu sur les questions militaires une prééminence d’autorité. Trochu, il est vrai, avait fait assez d’opposition aux autres généraux pour que sa popularité eût un certain air d’opposition à l’armée. Cette singularité même n’était pas à ce moment la moindre force de l’homme : elle lui permettait d’obtenir ce qu’on eût refusé à un autre, de mêler dans son œuvre les hardiesses novatrices au respect des traditions utiles, et de n’avoir dans cette intelligence du passé aucun air d’inertie rétrograde.

S’il eût dès le 4 septembre nettement revendiqué le commandement pour les hommes de guerre ; opposé les réalités du bon sens et de l’histoire aux sophismes de la rhétorique et à la légende révolutionnaire ; rappelé que les Français de 1792 n’avaient pas sauvé le pays en entremêlant de quelques exercices militaires leur vie habituelle, mais qu’ils s’étaient consacrés tout entiers à la lutte, qu’ils avaient quitté leurs foyers et leur profession pour les camps, et le métier rude de soldat ; s’il eût conclu que, dans un péril plus extrême encore, il fallait imiter l’exemple légué par eux ; s’il eût averti Paris que toute personne inutile à la défense était l’alliée inconsciente de l’ennemi, et qu’en hâtant l’épuisement des vivres elle rapprochait le jour de la capitulation ; s’il eût requis, au nom de la patrie, toutes les forces du pays, et par un geste du chef assigné