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prussien. Elle pouvait suffire à cette lâche. L’inscription maritime qui tenait, de 18 à 50 ans, à la disposition de l’Etat, quiconque naviguait à la pêche, au cabotage, ou au long cours, permettait de puiser librement dans une réserve de 115 000 matelots. Le recrutement fournissait de plus, pour la conquête et la garde des colonies, une force permanente d’infanterie et d’artillerie, véritables troupes de terre : ces troupes comptaient 38 000 hommes. 5 000 étaient aux colonies, 29 000 furent destinés au corps de débarquement. Pour monter la flotte de combat et de transport il fallait 74 000 matelots ; il suffit, pour avoir ce nombre, de lever parmi les inscrits les célibataires âgés de moins de 40 ans. Mais l’offensive sur le littoral comme l’offensive sur le Rhin étaient moins des desseins que des rêves, et nos premières défaites les dissipèrent. Il avait fallu désarmer la flotte de transport : une partie des équipages et les troupes de la marine se trouvaient dès lors sans emploi. L’infanterie de marine envoya 9 000 hommes à l’armée qui se reformait sous Châlons : ce furent eux qui s’illustrèrent et périrent à Bazeilles. Comme la flotte de l’Allemagne, trop faible pour se mesurer à la nôtre, s’était réfugiée au fond de ses ports, notre flotte de guerre n’eut plus pour objectif que leur blocus dans la mer du Nord et dans la Baltique. Mais là c’est la nature qui luttait contre nous : la situation des ports ennemis, au fond de longs et sinueux estuaires, la configuration des côtes, basses et sablonneuses, où un flux et un reflux sans profondeur couvrent et découvrent tour à tour un large espace qui n’est ni la terre ni la mer, les courans violens près des côtes, les tempêtes fréquentes au large rendaient le blocus dangereux pour nos cuirassés trop lourds. Les glaces d’un hiver prématuré allaient fermer la Baltique. Dès le milieu de septembre, ordre était donné aux escadres de regagner Cherbourg et le blocus était remplacé par le va-et-vient de quelques navires dans la mer du Nord, seule accessible désormais. Par suite, outre ses 20 000 soldats d’infanterie et d’artillerie, la marine aura à terre, et inutiles, plus de 50 000 matelots sur les 74 000 qu’elle vient de lever. Ces matelots connaissent presque tous le maniement du canon ou du fusil ; à ceux mêmes qui l’ignorent, il ne manque, pour être les meilleurs soldats de France, que cette instruction facile à acquérir, et l’habitude des marches : car tous ont appris, non seulement par un court passage au service de l’Etat, mais par l’exercice constant de leur métier, cette stricte discipline, cette habitude de la souffrance et cette familiarité avec le danger, qui sont les vertus essentielles chez l’homme de guerre, et les plus longues à acquérir. En étendant la levée aux inscrits, mariés ou veufs, jusqu’à 40 ans, la marine peut fournir de plus 20 000 hommes