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d’artillerie, qui s’étaient échappées de Sedan, gardaient encore la liberté de fuir, et, poursuivis par les vainqueurs, faisaient, au nombre de 35 000 hommes, retraite sur la capitale. Si l’on ajoute quatre régimens qu’on pouvait ramener d’Algérie, et à peu près 200 hommes qu’on pouvait encore tirer, en l’épuisant, de chaque dépôt de France, le total des soldats que l’armée active était capable de mettre en ligne ne dépassait pas 70 000 hommes. Le reste des Français valides, inscrits ou non sur les listes de la garde mobile et de la garde nationale, était étranger à toute instruction militaire.

Les armes n’étaient pas plus prêtes que les soldats. Avant la lutte, on prétendait que nos arsenaux renfermaient plus de 3 millions de fusils et 21 000 canons, dont 10 000 de campagne. Mais c’était un matériel oublié par le temps et condamné par la science : 2 millions de ces fusils se chargeaient par la bouche, un certain nombre étaient à pierre ; 17 000 de ces canons étaient des pièces capables encore d’annoncer les victoires mais plus de les gagner. Il n’y avait de propre à la guerre que l’artillerie rayée : 2 000 pièces de siège et 2 000 de campagne, fort inférieures à l’artillerie Krupp ; et 1100 000 fusils Chassepot, très supérieurs au fusil Dreyse. Nos armées, investies ou prisonnières, et nos places fortes de l’Est détenaient 400 000 de ces fusils et la plupart de ces canons ; il ne restait pour armer la France que 700 000 fusils et 600 pièces de campagne[1]. Or, pour soutenir une guerre, il faut 3 canons par 1 000 hommes, et 3 fusils par homme ; il restait donc tout juste de quoi armer 200 000 hommes. L’habillement, l’équipement, les services sanitaires n’étaient pas plus complets.

Mieux que tous les détails, un fait donne la mesure de la détresse militaire : pour la défense du sol, l’armée offrait désormais moins de ressources que la marine. Au début de la guerre, celle-ci devait fournir, porter et débarquer sur le littoral ennemi 30 000 Français qui, joints à 40 000 Danois, envahiraient le Hanovre et le Holstein, les contrées les plus hostiles au joug

  1. Les chiffres et appréciations donnés ici sont le résumé des chiffres et appréciations fournis en 1873, après le plus minutieux travail, à l’Assemblée nationale, par la Commission d’enquête sur le matériel de la guerre. Celle-ci a indiqué, en ces termes, pourquoi elle n’avait pu « reconstituer, d’une façon précise, les distributions d’armes faites pendant la dernière guerre. On aurait pu y réussir en temps ordinaire, au moyen de la comptabilité en matières des directions d’artillerie ; mais l’invasion des provinces de l’Est et les événemens de la Commune s’opposent à ce qu’on établisse complètement cette comptabilité. Il manquera toujours les comptes-matières et les inventaires des directions de Metz, Strasbourg et La Fère, qui ont disparu par suite, de l’occupation allemande, ainsi que ceux de la direction de Paris, qui ont été incendiés par les insurgés du 18 mars. En outre, dans quelques directions, les armes ont été réellement pillées, et il en est résulté un désordre qui s’est reflété dans les écritures. » Rapport de M. Léon Riant. (Annales de l’Assemblée nationale, t. XVII, p. 184.)