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perdre de l’autre. Il faut choisir, et M. Hanotaux avait fait son choix. Subitement, il en a fait un autre, et il a présenté à la Chambre un projet de loi qui déclarait Madagascar colonie française. L’aurait-il fait s’il était resté chargé en même temps de l’administration intérieure de l’île aussi bien que de ses relations avec l’étranger ? Qui pourrait le dire ? Ce qui est sûr, c’est que, n’ayant d’autre souci immédiat que d’obtenir des puissances qu’elles reconnussent notre situation nouvelle avec toutes ses conséquences, notamment avec ses conséquences économiques, il n’a pas tardé à s’apercevoir que le terrain sur lequel il se trouvait placé n’était pas tenable. On lui demandait, non sans ironie, ce que signifiait au juste notre prise de possession, quel était le véritable caractère de la notification qui en avait été faite, quels en seraient les résultats au point de vue de l’administration intérieure, où finissait la responsabilité de la reine, où commençait celle de la France, et mille autres questions que le moindre membre du moindre comité de contentieux peut aisément imaginer en pareille matière, — questions d’ailleurs insolubles. M. Hanotaux a perdu patience. Il souffrait évidemment de se trouver empêtré dans un écheveau aussi embrouillé, dont tous les fils, lorsqu’on les tirait, cassaient l’un après l’autre. Il a l’esprit net et la résolution prompte. Amené à choisir une fois de plus entre le protectorat et l’annexion, il l’a fait dans des conditions qui n’étaient pas les mêmes qu’au début. La question n’était plus entière. Il était impossible de retirer la notification solennelle qui avait été faite aux puissances. Dès lors, il fallait, — du moins M. Hanotaux l’a pensé, — donner à cette notification toute sa valeur, et reconnaître que Madagascar était une possession française comme une autre, une colonie pour l’appeler par son nom. Ainsi a été fait. Nous sommes rentrés dans la logique, et nous espérons bien que toutes nos difficultés avec les puissances prendront fin aussitôt : sans cela, nous aurions fait un marché de dupes, car nos difficultés intérieures en seront, comme nous l’avons dit, singulièrement aggravées.

Si le gouvernement avait pu se faire à ce dernier égard la moindre illusion avant la séance où la Chambre a discuté son projet de loi, cette illusion n’a pas tardé à se dissiper. On venait à peine de voter à mains levées le principe de l’annexion lorsque la question de l’esclavage s’est trouvée posée. La même Chambre qui avait eu la sagesse de l’éviter quelques semaines auparavant, s’y est jetée à corps perdu. Les radicaux, les socialistes, les députés des colonies qui avaient montré tant de réserve lorsque M. Bourgeois était aux affaires, n’étaient plus retenus maintenant par aucune considération ministérielle ; tout au contraire, ils ne demandaient qu’à mettre le gouvernement dans l’embarras. Ils l’y ont mis. Rien n’était plus aisé. Le ministre des Colonies, chargé de la responsabilité de ce qui se passe déjà et de ce qui peut se passer encore à Madagascar, devait naturellement faire part à la