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d’embarras au cabinet. Ils se taisaient systématiquement sur la question de l’esclavage. Ils abandonnaient au gouvernement le soin de la résoudre comme il voudrait, ou même de ne pas la résoudre du tout et de la passer tout entière à ses successeurs. M. Bourgeois était trop intelligent pour ne pas comprendre que si l’annexion, après avoir été notifiée aux puissances, devenait l’objet d’un vote parlementaire, elle le mettrait dans l’obligation de supprimer l’esclavage sans trêve ni délai. Il reculait devant cette perspective, et c’est même pour ce motif qu’il s’était arrêté à la solution hétéroclite et bizarre que l’on connaît. Il aimait mieux rester dans une attitude un peu ridicule que d’en adopter une franchement périlleuse. Il a trouvé dans le centre de la Chambre des hommes qui, élevant leur patriotisme au-dessus de l’intérêt de parti, n’ont pas voulu le pousser à bout, se sont arrêtés au point où il lui aurait été impossible de répondre à leurs questions, et finalement l’ont laissé libre de se tirer comme il pourrait de la situation où il s’était mis.

Mais il ne s’en est pas tiré du tout ; il est tombé, et il a passé à son successeur l’héritage diplomatique le plus confus. En revenant au quai d’Orsay M. Hanotaux n’y a plus reconnu la question de Madagascar. Elle était engagée dans les voies les plus diverses ; elle avait revêtu les formes politiques les plus opposées. De plus, la direction générale de l’affaire, dans un moment où la plus rigoureuse unité de vues aurait été si nécessaire, n’appartenait déjà plus à un seul département. Par une précipitation impardonnable, le précédent cabinet avait rattaché Madagascar au ministère des Colonies, et le ministère des Affaires étrangères restait seulement chargé des négociations avec les puissances. Ces négociations portaient sur les traités de commerce et d’amitié que le gouvernement malgache avait contractés avec l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. M. Bourgeois avait espéré qu’il suffirait de notifier notre prise de possession à ces puissances pour rendre ces traités caducs. Si prise de possession signifiait, en effet, annexion pure et simple, on pouvait soutenir la thèse, admise par tous les auteurs, qu’un changement de souveraineté fait en quelque sorte table rase de tous les engagemens antérieurs. C’était une grande simplification. Il est probable qu’elle n’avait pas échappé à M. Hanotaux au moment où il écrivait ses premières et remarquables instructions pour l’établissement du protectorat. Il avait certainement aperçu et apprécié à leur valeur les facilités que pouvait donner une autre manière de procéder ; mais il les avait mises en parallèle avec les difficultés correspondantes qui en résulteraient pour l’administration intérieure de l’île. C’est, en effet, le caractère particulier de cette question de Madagascar qu’on s’y trouve en présence de deux systèmes dont l’un, le protectorat, donne plus de facilités au dedans, et dont l’autre, l’annexion, en donne plus au dehors. On ne peut malheureusement gagner d’un côté sans