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coupables : il en est résulté l’amère déception dont personne n’a encore perdu le souvenir. Les partisans de l’annexion ont compris tout de suite quel parti ils pouvaient en tirer : s’ils ont tout fait pour faire perdre la tête aux autres, ils ont gardé la leur parfaitement équilibrée, éveillée, avisée. Ils ont aussitôt mis en avant le prodigieux sophisme qu’après tout l’argent que nous avions dépensé, après tout le sang que nous avions versé, nous ne pouvions plus nous contenter des résultats que nous avions visés tout d’abord. Il nous fallait davantage ! Sophisme, disons-nous, parce que ce n’est pas dans l’intérêt des Malgaches que nous avions voulu nous borner au protectorat, mais dans le nôtre. Si on avait dépensé plus qu’on ne l’avait prévu en hommes et en argent, ce n’était pas une raison pour se mettre dans la nécessité de dépenser davantage encore. Quant à nous qui n’avions éprouvé aucune espèce de surprise au cours de l’expédition, nous restions naturellement fidèles au protectorat. Le gouvernement de cette époque faisait de même, au moins d’une manière théorique. Toutefois, sous le coup d’une émotion à laquelle il aurait dû échapper, il commettait la faute de substituer au premier projet de traité, remis par lui-même entre les mains du général Duchesne, un second traité qui était encore le protectorat, mais plus rigoureux dans la forme et plus humiliant pour la reine qui devait le signer seule, c’est-à-dire prendre des engagemens envers nous sans que nous en prissions aucun envers elle. Première déviation de la politique si claire, si ferme, si prudente et si résolue en apparence qui avait été d’abord adoptée. On sait ce qui est advenu. Le second traité est arrivé trop tard à Tananarive ; le premier avait déjà été signé ; et le général Duchesne, dans son robuste bon sens, a jugé qu’il était peut-être dangereux et en tout cas peu digne de revenir sur le fait accompli.

Malheureusement, le second traité était resté dans les dossiers du quai d’Orsay, comme une sorte de désaveu du premier, comme un remords du ministère qui l’avait préparé, comme une invite à son successeur. Celui-ci a été le ministère radical présidé par M. Léon Bourgeois, et qui avait M. Berthelot pour représentant aux affaires étrangères. Il était facile de prévoir que, par sa composition même, le cabinet Bourgeois subirait plus facilement et plus complètement que tout autre les influences, ou plutôt les exigences des groupes coloniaux. Ces groupes sont très actifs, très remuans à la Chambre, toujours prêts à vendre leur concours et encore plus à le retirer, prenant à tous les incidens parlementaires une part disproportionnée à leur importance numérique, et remarquablement habiles à exagérer la valeur de leur appui, soit qu’ils le donnent, soit qu’ils le refusent. Ils ont commencé par se vanter d’avoir renversé le ministère de M. Ribot, à cause du traité de Tananarive déclaré par eux insuffisant, et, forts de cette prétendue victoire, ils se sont tournés vers le nouveau cabinet pour lui dicter des