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Nous reviendrons tout à l’heure sur « l’immortel Braxfield, » et sur le rôle qu’il joue dans Weir of Hermiston. Mais ce n’est pas lui, en vérité, c’est l’Écosse qui est le principal héros du roman de Stevenson. De la première à la dernière page, on sent que l’imagination de l’auteur « continuait de hanter les froides vieilles collines » couvertes de bruyères. Paysages, peintures de mœurs, légendes et traditions, tout concourt à répandre sur ces chapitres une couleur si particulière que les plus écossais des romans de Walter Scott, en comparaison, perdent un peu de leur caractère national. Il n’y a pas jusqu’au style qui ne soit tout local, tant y surabondent les expressions écossaises, encombrant le dialogue et s’infiltrant par places dans le récit lui-même. M. Sidney Colvin a dû joindre au volume un glossaire pour les expliquer ; mais encore y en a-t-il qui, malgré le glossaire, nous demeurent inintelligibles. Elles prouvent du moins combien était resté présent, chez le citoyen de Samoa, le souvenir du pays natal. Et c’est ce que prouvent aussi, plus agréablement pour nous, l’exquise fraîcheur des descriptions, la vérité vivante des portraits, et jusque dans les caractères quelque chose de concentré, d’entier, et d’un peu sauvage, qui leur donne à tous un air de famille des plus saisissans.


Cet air de famille, toutefois, n’empêche pas les divers personnages du roman de garder chacun une personnalité très distincte : et l’on dirait même que l’auteur s’est complu à en accentuer le contraste. Il a pris pour sujet la vieille histoire de Brutus condamnant son fils ; mais de son Brutus il a fait un magistrat écossais, cachant sous la rudesse de ses dehors une affection profonde pour l’héritier de sa race. Et afin de porter son histoire au plus haut degré d’émotion tragique, il a encore imaginé de faire de ce magistrat une manière de monstre, un juge-pendeur, tel qu’avait été au siècle passé le légendaire Braxfield, dont voici le portrait dans une chronique du temps : « Brun et fortement bâti, avec des sourcils épais, des yeux cruels, des lèvres menaçantes, une voix caverneuse, il avait l’apparence d’un formidable forgeron. Son accent et son dialecte étaient écossais avec exagération : son langage, comme sa pensée, bref, dur et tranchant. Illettré et sans le moindre goût des plaisirs raffinés, la force naturelle de son intelligence ne faisait qu’aggraver son dédain pour toute nature moins rude que la sienne. Jamais il n’était aussi bien dans son élément que lorsqu’il pouvait repousser l’appel désespéré d’un accusé, et l’envoyer à la potence avec un sarcasme insultant : ce qu’il faisait, cependant, non point par cruauté, car il avait trop de santé et une humeur trop joviale pour pouvoir être cruel ; mais c’était sa rudesse qui s’épanchait là. »

Trait pour trait, Stevenson a copié sur ce modèle la figure et le caractère de son Adam Weir, lord clerc de justice au tribunal d’Édim-