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compromettre sa neutralité. » Ce noble langage communiqué au parlement y fut accueilli par un assentiment unanime.

L’événement se chargea d’en démontrer la sagesse. Si le fléau de la guerre ne put être complètement évité, le théâtre en fut du moins restreint aux bords extrêmes du Danube et de la Mer-Noire : la Turquie el la Russie seules y furent engagées. Tout le centre du continent resta en paix, et ce résultat, dont tout le monde eut à s’applaudir, fut dû en grande partie à l’activité conciliante des agens français, à laquelle aussi bien le cabinet Disraeli à Londres que le prince Gortchakoff à Saint-Pétersbourg, et à Berlin sinon M. de Bismarck lui-même, au moins le vieil empereur Guillaume, se plurent à rendre une justice égale. La France sortait donc de cette passe difficile, sans intimité, à la vérité, avec personne, mais en des rapports d’estime et presque de cordialité avec tout le monde, dans cette Europe qu’elle avait contribué à tenir en paix. Si cependant la fortune et les passions humaines en avaient autrement décidé, si l’ère des combats eût été malheureusement rouverte, il lui aurait été difficile assurément d’en rester toujours spectatrice indifférente ; mais appelée à descendre dans l’arène, elle l’eût fait à son heure, à sa convenance ; en un mot, comme le disait si bien M. Decazes, avec la libre possession d’elle-même.

Elle serait intervenue aussi avec la confiance légitime que lui aurait inspirée la réparation de ses forces, poursuivie à l’intérieur avec une infatigable activité, et déjà avancée par le bon emploi de plusieurs années. Six contingens de jeunes recrues avaient remplacé ceux que la guerre avait si cruellement décimés, et avaient pris place dans les cadres préparés par une loi organique qui a été peut-être modifiée depuis lors avec une précipitation irréfléchie : car ses auteurs avaient cherché à concilier la quantité des effectifs avec leur qualité, et le nombre requis par les exigences et les habitudes de la stratégie moderne, avec le nerf, la tenue, la solidité, ces vieilles qualités du soldat français que la durée du service peut seule assurer. Un point dont je puis parler aussi peut-être avec plus de connaissance, c’est de l’autorité que donnait dès lors à la France, dans les conseils diplomatiques, le prompt retour d’une prospérité financière inespérée. Ce n’est pas seulement en effet dans les relations de la vie privée que s’exerce, de nos jours, la puissance, j’ai presque dit le prestige de l’argent. Il y a longtemps qu’on a dit que la fortune se range volontiers du côté des gros bataillons et c’est plus vrai que jamais depuis que de nouveaux moyens de combat ont tellement accru l’effet de l’inégalité numérique entre les armées que des prodiges de valeur et de génie ne permettent plus guère aux petites de tenir tête aux