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LES TYPES INTELLECTUELS

Dans une étude savante sur les types intellectuels, dont on peut critiquer le plan et la composition un peu confuse, mais où l’on trouvera des observations neuves et des vues ingénieuses, M. Paulhan a entrepris de distribuer les intelligences en ordres et en sous-ordres, en familles, en tribus, en genres et en espèces[1]. De son propre aveu, sa méthode n’est pas rigoureusement scientifique : la science est une belle chose, mais rien n’est pire que les fausses sciences, et il est bon de s’en défier. Nous connaissons aujourd’hui plus de cent cinquante mille espèces de plantes. Après avoir trouvé aussi claire que séduisante la méthode de classification de Linné, connue sous le nom de système sexuel, on l’a traitée d’artificielle et remplacée par la méthode naturelle, qui, au dire des transformistes, ne l’est pas toujours. S’il est difficile de classer les plantes, il est plus malaisé encore de classer les intelligences. Un esprit est un organisme beaucoup plus compliqué qu’un végétal, et il y a dans tout être humain quelque chose d’indéfinissable, d’indescriptible, d’infiniment particulier, qui fait de chacun de nous une exception personnelle.

M. Paulhan a commencé par diviser les êtres pensans en deux grandes familles, celle des esprits logiques et celle des esprits faux. Mais on peut avoir à la fois l’esprit très faux et très logique. L’homme qui déduit des conséquences justes d’un principe absurde est un esprit mal fait et un bon logicien. Comme l’a remarqué Voltaire, le fou d’Athènes qui croyait que tous les bâtimens qui abordaient au Pirée lui appartenaient, pouvait calculer avec une merveilleuse justesse combien valait le chargement de chacun de ses navires et en combien de jours de traversée ils avaient pu arriver de Smyrne ou de

  1. Les Types intellectuels ; esprits logiques et esprits faux, par Fr. Paulhan ; Paris, 1896, Félix Alcan, éditeur.