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AUBE

Sur le cyprès, le cèdre et sur l’eau noire et verte,
Laisse, avec la clef d’or à la porte entr’ouverte,
Les cygnes endormis, les paons et les colombes ;
Ecoute, pleur à pleur, l’heure grave qui tombe
Et qui s’égoutte lente ou s’écoule rapide,
Cendre du sablier, larme de la clepsydre ;
Et marche doucement sans réveiller l’écho ;
Laisse les cygnes blancs dormir doubles sur l’eau
Avec leur col neigeux ployé sous l’aile tiède,
En silence, et les paons sur les branches du cèdre
Et la colombe douce aux pointes des cyprès,
Et pars ! tout est muet encor, mais l’air plus frais
De la nuit, peu à peu, frissonne à l’aube proche ;
Laisse la bêche et le râteau, laisse la pioche
Et prends la faulx qui luit en aile d’acier clair
Et pousse le verrou de la porte de fer,
Et sors vers l’aube pâle et marche vers l’aurore.
La pierre du chemin fera ton pas sonore
Et, sous ton manteau noir qui le cache à demi,
Emporte, loin de l’âtre et du seuil endormi,
Vers le soleil farouche et vers le jour futur,
Avec sa crête rouge, ergot sec et bec dur,
Qui glousse, se rengorge et qui sommeille encor,
Le grand coq d’émail roux au cri de cuivre et d’or !


ÈGLOGUE MARINE
L’HOMME


Puisque le poil d’argent point à ma barbe noire,
Dans l’ombre je m’assieds enfin et je veux boire
A la fontaine fraîche entre les bleus roseaux,
Puisque le rouet sourd et les minces fuseaux
Ne bourdonneront pas sur mon seuil habité
Ouvert au crépuscule en face de l’été,
Et que nul geste doux et nulle main fidèle
N’effeuillera sur mon tombeau l’humble asphodèle
Ou le lierre noir dont s’enlace le cippe,