Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considération intacte, aurait paru de la part de la France, partout présente et mêlée à tout, un effacement sans dignité et le symptôme d’une décadence peut-être irrémédiable.

Voici pourtant dans quelle mesure nous pouvions tirer profit de l’exemple si bien justifié par le succès qui nous était donné. S’il était de notre devoir de maintenir toutes les situations acquises et héréditaires, il était permis pourtant, et il importait également de ne contracter aucune obligation nouvelle de nature à distraire ce qui nous restait d’attention et de forces disponibles du seul danger qu’il fût urgent de prévenir et du seul but qui valût la peine d’être poursuivi. Par-là même se trouvaient éloignées pour un temps indéfini toute recherche d’agrandissement et d’éclat, toute prétention à une extension de territoire ou d’influence : désirs parfaitement légitimes dans des jours heureux, mais entraînant des dépenses de luxe qui devenaient imprudentes quand les plus nécessaires étaient encore difficiles à couvrir. Le temps était passé surtout de ces campagnes entreprises pour des principes abstraits d’un libéralisme vague et humanitaire qu’un souverain français avait si étrangement qualifiées de guerres faites pour des idées. Il fallait adopter une vie de régime, déplaisante peut-être pour une nation qui vit souvent d’imagination, qui venait déverser son sang pour affranchir des populations asservies et qui s’est volontiers donné pour mission de porter aux régions les plus éloignées la civilisation et la liberté ; mais le malheur ôte le droit, en enlevant le moyen, d’être généreux, et la France avait payé assez cher la liberté de ne plus penser qu’à elle-même.

Une autre précaution encore était nécessaire, c’était, dans des rapports avec les autres puissances, sans affecter un isolement maussade, d’éviter tout engagement assez étroit, toute alliance même assez intime pour nous entraîner malgré nous, à un jour quelconque, dans une querelle étrangère à nos intérêts. Advenant enfin le malheur immense, mais toujours possible à prévoir, d’un conflit armé sur le territoire européen, après avoir tout fait pour le détourner, il était essentiel à la France de demeurer libre à son gré, soit de rester neutre et juge des coups, soit d’embrasser telle cause qui, sans offenser la justice, serait pourtant favorable à nos espérances patriotiques. C’était le cas de se rappeler combien, au moment où éclata, en 1870, le duel terrible dont nous avons été victimes, et qui grondait depuis plusieurs années déjà, Alexandre avait eu lieu de s’applaudir de pouvoir choisir, entre Napoléon et Guillaume, l’allié qui serait le plus en humeur et en mesure de rétribuer largement un concours qui pouvait être décisif.

L’occasion de mettre cette sage politique à l’épreuve ne tarda