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travers le pêle-mêle de la science et de l’érudition. Les ajustemens et les accessoires font penser à la Renaissance, mais le visage est de notre temps. Le groupe de l’Aveugle et le Paralytique rentre plus franchement dans une tradition purement française ; et nous reporte aux compositions naïves de nos imagiers populaires du moyen âge, par la justesse sincère de l’action et la simple franchise des expressions. L’habileté du sculpteur, formé par les plus sérieuses études, fait valoir par la correction des formes et la sûreté de l’exécution, ces vieilles qualités nationales.

M. Gustave Michel, pour mieux attester sa filiation, a sculpté son groupe, non dans le marbre des Grecs et des Romains, mais dans la bonne pierre française, si franche et si grave, et, comme ses ancêtres aussi, il a cru devoir vivifier encore ses deux personnages, en les coloriant légèrement. La polychromie appliquée à la pierre qui l’absorbe plus aisément que le marbre semble y pouvoir prendre, en effet, un caractère différent. La polychromie des Grecs, appliquée aux surfaces lisses et brillantes du marbre, paraît avoir été, le plus souvent, une polychromie conventionnelle et idéale, ayant pour double but de tempérer, sous une vive lumière, les éclats aveuglans d’une matière éblouissante, et d’accentuer, par des rehauts habilement placés, sur les points importans ou les lignes décisives, l’attitude, le geste, l’expression, la signification plastique, architecturale, morale des figures. La polychromie du moyen âge, plus naïve et plus simple, s’appliquant à la pierre et au bois, semble s’être proposé, au contraire, presque toujours, en protégeant des matières plus fragiles contre les atteintes d’un climat changeant, de donner aux images ouvrées l’aspect même de réalités vivantes, en exagérant, plutôt qu’en les atténuant, les violences du coloris naturel. Ce dernier système, poussé à bout, a, par malheur, pour conséquence, d’empâter et d’envelopper les formes, et de supprimer cette sensibilité des surfaces, carnations et tissus qui est l’une des plus grandes difficultés de l’art et l’une des plus grandes séductions de la statuaire. M. Gustave Michel, à la fois tenté et effrayé, a cherché un moyen terme. Le coloriage de sa statue est complet et suivant les données de la réalité, mais fortement atténué et abaissé, d’une tonalité indécise et grisâtre qui laisse une impression confuse et triste. Je ne sais si, dans ces conditions, il n’eût pas mieux valu laissera la pierre, surtout pour une œuvre de musée, sans rôle architectural, la franchise de son langage naturel, si ferme et si clair, et dont le ton d’ailleurs se calmerait et se renforcerait assez vite par l’action du temps. En tout cas, l’essai est intéressant et se joint utilement à ceux qui sont faits, en ce moment, de tous côtés, par nos sculpteurs curieux et chercheurs,