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rapprochant fort de la table ou de la cuvette nous fait croire que le sculpteur de La Fontaine, moins académiste aujourd’hui, ne repousserait pas si fièrement, pour son bloc, l’idée d’une application moins sublime. Néanmoins, cette fierté, chez un artiste, un jeune surtout, est naturelle et se comprend. Il en est des sculpteurs comme des peintres : tous ceux qui n’ont pas passé par le trouble des hautes ambitions ne sont guère, sauf de rares exceptions, capables de réaliser les petites. La preuve nous en est fournie ici même, dans cette section décorative, où les œuvres les plus curieusement délicates et raffinées portent les noms d’artistes expérimentés qu’on a vus depuis longtemps, dans la nef, s’exercer au maniement des grandes masses sculpturales. C’est parce qu’on a fait des dieux d’abord, que la table et la cuvette prennent ensuite, dans les mêmes mains, un reflet de grâce et de beauté divines.

Dieux du paganisme, dieux du christianisme, dieux de la nature et de la science, ce seront toujours, pour les artistes, tant qu’il y aura des artistes, de ces nobles et hautes visions qui les exalteront justement par l’attrait plastique, l’attendrissement religieux ou l’extase intellectuelle. De ces trois catégories de symboles qui s’appliquent à des besoins simultanés et presque aussi impérieux de l’esprit humain, besoins de beauté, d’amour, de vérité, les deux premières, déjà fournies, par une activité séculaire, de réalisations supérieures et définitives, ne fournissent plus guère, aux nouveaux venus, avec un fonds de traditions inoubliables, que des prétextes à variations plus ou moins personnelles et inattendues sur des thèmes connus ; la dernière seule présente une matière sinon intacte, au moins en grande partie inexplorée, qui peut tenter et qui tente, en effet, l’imagination des jeunes et des audacieux. Il est certain que beaucoup d’entre eux, les sculpteurs surtout, dont l’art est plus limité et contenu rigoureusement par les lois inflexibles de la matière employée, s’y égareront et s’y perdront ; on peut croire, pourtant, que leurs tentatives ne seront pas inutiles ; en tout cas, elles sont honorables et méritent l’estime. Il est toujours glorieux de monter vers l’empyrée, dût-on y fondre ses ailes trop fragiles.

Parmi ces audacieux, en quête de nouveautés, on a remarqué MM. Charpentier, Larche, Roussel, qui, tous les trois, ont tenté de nous rendre, par des créations plastiques, l’émotion éprouvée par l’homme devant certains phénomènes naturels : une Étoile filante, la Tempête, la Mer. Pour l’étoile filante, la difficulté, difficulté énorme, était de donner, par des figures mates, palpables et stables, l’idée d’un mouvement rapide dans un objet lumineux et insaisissable. Comment le sculpteur s’en est-il tiré ? Il ne s’en pas tiré, et, sans le secours du livret, on ne saurait