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s’apitoyait sur le sort de ce savant, de cet « héroïque piqueur d’insectes », de ce « pionnier de la civilisation » qui en « tenait haut et ferme le drapeau au milieu de l’Afrique centrale » : belles phrases qui recouvraient l’intention de livrer l’exploitation des pays du haut Nil au syndicat de capitalistes dont feu sir W. Mackinnon était le président. Présentement, on est un peu surpris de l’angoisse qu’on éprouve en Angleterre sur le sort du bon Djaalin ou de l’excellent Dongolais, et de l’indignation que suscite la conduite du méchant Taacha. Nous n’étions pas accoutumés à tant de sensibilité.

Enfin les sentimens humanitaires dont nos voisins se sont sentis subitement envahis nous causent encore une inquiétude. Bien des publicistes français, et en particulier l’éminent écrivain qui au terme de chaque quinzaine en expose ici l’histoire politique, ont avancé que l’expédition de Dongola avait surtout pour objet de maintenir en Égypte le régime irrégulier qui s’y est établi depuis bientôt quatorze ans. Pourquoi ne pas le répéter ? Il y a dans le discours précité de lord Salisbury une phrase grosse de menaces : « Il se peut que bien des années s’écoulent avant que notre tâche soit entièrement accomplie. » Nous avons donc lieu de craindre qu’à cause du calife Abdullah l’occupation anglaise ne se prolonge, en dépit d’engagemens réitérés ; que trop longtemps on n’entende dans les rues du Caire les notes aigres des fifres anglais ; et que, trop longtemps encore, on ne voie sur le terre-plein de la citadelle les habits rouges monter la faction devant le tombeau de Mehemet Ali.


HENRI DEHERAIN.