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réunion les deux califes, Abdel Kerim, et les personnages officiels. Il fait d’abord lire la proclamation du Mahdi, qui exalte ses mérites, puis il se démasque, reproche ses menaces à Abdel Kerim, et l’accuse de déloyauté. Celui-ci tente de démentir les propos qu’on lui prête. Mais il n’est pas soutenu par l’assemblée intimidée, et est reconnu coupable. Toutefois Abdullah se calme, consent à pardonner, pourvu qu’on lui livre les troupes. Le lendemain le calife Chérif se dessaisissait du commandement de ses soldats. Pour prouver son zèle, le calife Ali en fit de même. Leurs grands étendards rouges et verts, les guidons de leurs émirs furent plantés à côté de ceux d’Abdullah devant la porte de la maison de son frère Yacoub. Par ce signe, il devint visible aux yeux de tous, qu’il n’y avait plus qu’un seul maître dans Omdurman, et que c’était Abdullah.

Quelques années se passèrent. Les parens du Mahdi étaient de plus en plus écartés du pouvoir. Exaspérés ils tentèrent de le reprendre par un coup de force. Mais le secret de leur conspiration fut trahi. Une nuit ils furent enveloppés dans leur quartier général, essayèrent en vain de résister et durent se rendre. Le calife fit semblant de leur pardonner. Mais un jour, dans la mosquée, il déclara que le Prophète lui était apparu, lui avait désigné les rebelles et ordonné de les punir. Treize d’entre eux furent immédiatement saisis, embarqués pour Fachoda et massacrés. Deux oncles du Mahdi subirent bientôt un sort analogue, pendant que ses deux plus jeunes fils étaient étroitement emprisonnés. Le calife Chérif se croyait préservé par sa dignité même. « Il n’oserait ! » semblait-il penser, comme ce personnage de notre Révolution placé dans des circonstances aussi tragiques. Il blâma ces mesures de rigueur, Abdullah l’attendait à cette imprudence. Il le déclara rebelle à son tour, le fit arrêter dans la mosquée, avec si peu de formes qu’on ne lui permit pas de reprendre ses babouches, qu’il avait, selon l’usage, retirées à la porte, et le fit jeter en prison.

Tout en frappant ainsi ses ennemis à la tête, Abdullah se mettait aussi en garde contre ces populations des bords du Nil, avec lesquelles il est, depuis vingt ans bientôt, en haine réglée. Tous les procédés sont employés pour les affaiblir. On les ruine, on leur prend leurs biens, on les chasse de leurs terres, on les décime en les exposant de préférence au feu. Au combat de Toski, comme à celui de Tokar, livrés aux Anglo-Egyptiens, en Abyssinie comme sur le Nil blanc, ce sont toujours les contingens originaires de la vallée du Nil qui donnent, tandis que les Darfouriens sont à l’abri.