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situation toujours précaire et pleine de menaces, un signe d’affaissement de l’esprit public, dont ceux qui venaient d’admirer la vaillante obstination de notre résistance nationale ne nous fait pas l’injure de nous soupçonner.

Pour accepter d’ailleurs avec cette philosophie la condition nouvelle où la France était réduite, il aurait fallu que ceux à qui la tâche de diriger sa politique était momentanément dévolue n’eussent jamais lu une page de son histoire, ni pris connaissance, même par un coup d’œil superficiel jeté sur une carte, de sa position géographique. La moindre étude suffit, en effet, pour reconnaître que ce beau territoire français, qui a atteint de bonne heure un si rare degré de cohésion et d’unité, n’a pourtant jamais été fortement garanti qu’à l’ouest et au sud, par la mer et les Pyrénées. Ce n’est qu’assez tard que le Jura et les Vosges sont venus le couvrir à l’est ; et au nord, sa limite est toujours restée indécise, mobile et dégarnie. Corriger cette imperfection, réparer cette faiblesse, c’est l’œuvre qui a été poursuivie pendant une durée de plus de huit siècles par l’effort persévérant d’une dynastie royale aussi française de cœur que d’origine. Tâche patriotique d’autant plus nécessaire à mener à fin que le foyer de la vie nationale s’étant concentré de bonne heure dans une capitale placée à proximité et sur le chemin de la frontière la moins défendue, le cœur de la France bat sous un flanc découvert que ne protège aucune armure. C’est cette barrière si peu solide qu’à tout prix il fallait reculer pour étendre la circonférence de l’enceinte qui entoure Paris, et permettre ainsi à l’organe vital par excellence de respirer plus à l’aise. Il était tout aussi nécessaire de ne laisser constituer à nos portes, sur aucun des points vulnérables, une puissance suffisante pour y rassembler, à un jour donné, une menaçante agglomération de forces. Tel fut le dessein de salut national qu’avait conçu, par un instinct merveilleux, puis réalisé, avec une persistance infatigable, la politique de notre ancienne monarchie. On peut ainsi, en réalité, comparer toute l’histoire de France à une grande opération stratégique qui embrassant d’abord, dans un arc de cercle largement décrit, la moitié des Flandres, et, autour de Metz, toutes les contrées qui bordent la Meuse, se complète par un mouvement tournant avec la conquête de l’Alsace sous Louis XIV et l’annexion de la Lorraine sous Louis XV. C’est ce legs d’un travail séculaire, tombé malheureusement en partage à des héritiers intrus et improvisés, qui, par le traité de Francfort, se trouvait aliéné d’un trait de plume. Du même coup, la frontière était resserrée, démantelée et dominée par le plus redoutable voisinage. La ligne des Vosges, surmontée d’un drapeau étranger, n’est plus un rempart, mais une