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que je puis avoir d’âme, dit-elle plus loin, et mon corps tout entier appartiennent à Humphrey, ni plus ni moins qu’un des chevaux de son écurie. Et il appelle cette chose « ma femme », et il l’aime… De l’amour ! Non, je ne l’aime pas, cet homme. Je vois tout ce qu’il y a de bon en lui… mais l’aimer ! Cela me paraît tous les jours plus impossible. »

La suite est trop difficile à citer. Les jeunes femmes et les jeunes filles qui ont doté l’Angleterre de ses premiers romans féministes ont puisé dans le sentiment de leur apostolat un courage vraiment extraordinaire. Elles ont créé une littérature de l’alcôve conjugale qui ne laisse rien à désirer pour la science et le cynisme, tout en évitant les tableaux grossiers. Qu’il suffise de savoir que Gwen devient enceinte. Cet événement, facile à prévoir, la surprend comme un coup de foudre. « Comment se fait-il, murmure-t-elle, que cette complication si naturelle ne me soit jamais entrée dans la tête ?… Ainsi, moi, moi Gwen, je vais être mère d’un enfant, et Humphrey est son père ! (Élevant la voix). C’est horrible ! c’est dégradant, étant donnés mes sentimens envers lui, qui n’ont jamais varié ! Je me sens avilie à la pensée qu’un homme ait aussi terriblement en son pouvoir la moindre parcelle d’une femme, quand celle-ci ne peut pas — ne peut pas — ne peut pas ! (avec des cris) lui donner le meilleur d’elle-même. Que savent les jeunes filles des choses qu’elles rendent légales pour elles-mêmes ? Si elles savaient les choses, si on leur apprenait la nature de leur sacrifice, il n’y aurait plus de mariage que lorsqu’il apporterait l’amour, l’amour absolu, à sa suite… Rien, rien, excepté l’amour parfait ne rend le mariage sacré, rien, ni la loi de Dieu ni celle de l’homme ; et voici maintenant le signe extérieur et visible qui met le sceau à ma honte. J’ai péché non seulement dans le présent et le passé, mais dans l’avenir. J’ai fait du tort à une innocente créature qui n’est même pas encore née, j’ai mis une barrière entre elle et sa mère… Et Humphrey !… Désormais, chacun de ses regards, chacun de ses attouchemens me brûlera et me rappellera ma honte. On parle de la honte des femmes qui ont des enfans en dehors du mariage ; ce n’est rien auprès de la honte de celles qui ont des enfans sans aimer leur mari. Les autres ont l’excuse de l’amour, — c’est la nature ; ça purifie leur honte ; mais nous, — c’est contre nature, c’est le plus vil et le plus cruel des péchés ! »

Dans un autre récit[1], Florence a fait, à dix-sept ans, un mariage de raison. Quelques années après, elle arrive subitement chez sa mère : « Eveillez-vous, ma mère ; j’ai à vous parler ! »

  1. Discords. — Virgin Soil, par George Egerton (Mrs Claremonte).