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escalader le ciel, les Titans ont entassé l’une sur l’autre deux ou trois misérables taupinières de la Thessalie, nous ne pouvons nous empêcher de sourire. Malgré les prestiges de l’art, les cieux superposés de Dante, son enfer souterrain dont les portes ouvrent sous notre globe, paraissent réduits aux proportions de jouets d’enfans, à nous qui mesurons les distances célestes en années de lumière. Ces légendes poétiques, ces fictions gracieuses, nous les admirons, nous les respectons, mais comme, au moment de partir tout équipé pour voir lever le soleil sur le Mont-Blanc ou le Chimborazo, l’ascensionniste jet le un regard attendri sur les lisières dont sa mère se servait pour guider ses premiers pas.

Avec une foi que rien ne peut abattre, la science, elle, poursuit sans relâche le lien qui unit l’effet avec la cause. Dans les révolutions des étoiles doubles, comme dans l’évolution des microbes les plus infimes, elle va, cherchant et suivant à la trace la raison suprême qui préside au gouvernement de l’univers. Elle s’efforce de comprendre, de formuler en termes rationnels les lois de ce gouvernement. Quand elle y réussit, elle affirme par-là même l’étroite parenté de cette raison suprême avec la raison humaine qui en est l’émanation et comme le reflet.


Du gleichst dem Geist
Den Du begreifst[1].


Quand elle échoue, elle se remet à l’œuvre sans jamais se décourager, comme Kepler, disant dans une lettre célèbre, une véritable prière : « Je ne puis, pour le moment, réfuter cette objection, mais j’espère que Dieu me fera la grâce d’y pouvoir répondre un jour. » La science s’efforce de démêler partout, dans l’infiniment grand, dans l’infmiment petit, dans le cristal, dans la plante, dans l’homme, dans l’art, dans l’histoire, dans la linguistique, ce qu’il y a de permanent dans le variable, d’éternel dans le transitoire ; en un mot, elle a pour mission de dégager, sous les apparences contingentes, l’être mystérieux et transcendantal qui, dans la Bible, a dit : « Je suis la substance. Sum qui sto[2]. »

La science a le droit de se tromper parce qu’elle a le devoir absolu de reconnaître et de rectifier les erreurs signalées par l’expérience, l’observation, le bon sens. Sa foi se réduit à ce seul dogme : « Tout ce qui se passe dans l’univers s’y passe conformément aux lois de la raison et peut être prévu par elle, en vertu de la relation de cause à effet. » Pour la science, l’arbitraire,

  1. Gœthe.
  2. Dans les phénomènes variables, la science recherche en effet la loi constante qui régit leur évolution.