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IV

Est-ce chez nous tendresse particulière pour le livre que nous avons traduit il y a trente ans, et qui nous a ouvert tout un monde d’idées et d’aperçus nouveaux ? Est-ce parce qu’après trente ans de méditations et d’expériences, nous le connaissons mieux et que nous en avons vu les principales théories résister victorieusement aux attaques les plus sérieuses ? Nous ne savons ; mais, après avoir rapidement passé en revue dans ces derniers mois les principaux travaux de Helmholtz, nous trouvons que la Théorie physiologique de la Musique est, de beaucoup, l’ouvrage où ce beau génie a donné la plus large mesure de ses facultés exceptionnelles. L’enchaînement des idées, la rigueur et la fécondité de la méthode, le sentiment très élevé des différences qui séparent la science de l’art, l’ingéniosité des théories et des expériences, la sûreté de l’analyse philosophique, tout s’y trouve réuni. Il a, du coup, réhabilité l’acoustique qui, jusque-là, n’occupait qu’une place très secondaire dans les préoccupations des savans. Les résultats pratiques ne se sont pas fait attendre ; l’invention du téléphone et du phonographe procède presque directement des théories rajeunies par Helmholtz. Dans des domaines très différens, deux de ses plus éminens élèves, Hertz pour l’étude des courans électriques alternatifs, G. Lippmann pour la découverte de la photographie des couleurs, se sont inspirés des données fournies par cette science trop dédaignée. Et cette action suggestive de l’acoustique n’est pas pour surprendre.

Si, comme on l’a vu plus haut, tous les phénomènes de l’univers ont pu être réduits à des vibrations, les vibrations de l’air dont s’occupe spécialement l’acoustique sont les seules qu’on puisse, pour ainsi dire, prendre sur le fait, étudier expérimentalement dans leurs phases, saisir même à l’œil dans leurs combinaisons les plus compliquées (appareils de Kœnig et de Lissajous). Et l’on peut presque affirmer que, sans la connaissance des mouvemens combinés de deux sons, Huyghens, Young, Fresnel, auraient eu bien plus de peine à établir la théorie des ondulations lumineuses.

Dans ses rapports avec nos sens et notre esprit, le mouvement vibratoire de l’air n’est pas moins intéressant à étudier que le mouvement vibratoire de l’éther. Comme l’œil, et mieux que lui encore, au moins d’une façon plus facile à comprendre, l’oreille nous permet de nous débrouiller dans la complication infinie des