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d’arrêter notre opinion, de choisir, et de juger. Elle se définit « une qui s’est toujours laissé gagner à tout le monde. » Elle entre naturellement dans l’opinion d’autrui et va d’elle-même se placer au point de vue de son interlocuteur, tour à tour amusée par la frivolité des mondains, séduite par l’esprit des libertins, gagnée par l’austérité des Réformés. Le spectacle mouvant des idées est pour elle un charme. La conversation est pour elle un besoin. La discussion l’attire et la ravit d’autant plus qu’elle porte sur des questions plus abstraites. Jusqu’aux derniers jours, son étude de prédilection, celle qui n’a cessé de passionner son esprit, ç’a été la théologie.

Un autre trait de cette nature, c’est la tendresse du cœur. Marguerite a besoin moins encore d’être aimée que d’aimer. Elle se dévoue à ceux qui l’entourent et qui souvent la récompensent mal de ce qu’elle fait pour eux. Elle se prodigue pour ses amis. Elle les défend avec un zèle infatigable. Dans son esprit si ouvert à toutes les idées, l’idée seule de la haine n’entre pas. Elle devance, par bonté naturelle et effusion spontanée du cœur, cette doctrine de la tolérance qui plus tard sera chez nous le résultat de déductions philosophiques. Elle est charitable et pitoyable à toutes les formes de la souffrance. La plus grande partie de ses ressources passe en libéralités et en aumônes. La première fondation faite à Paris d’un hôpital réservé aux enfans est son œuvre. Telle est cette complexion d’une âme qui aime à aimer.

Ce mélange de la curiosité de l’esprit et de la tendresse du cœur, c’est par où tout s’explique chez la reine de Navarre. Et d’abord son mysticisme, s’il est vrai que le mysticisme consiste à introduire l’imagination dans le domaine de la foi et le romanesque dans la piété. Mystique, Marguerite l’a été de toutes les manières, et des plus vulgaires comme des plus raffinées. Elle croit aux pressentimens, aux songes et aux apparitions. « Le jour que le roi François lui fut ôté, dit Sainte-Marthe, elle rêva qu’elle le voyait pâle et abattu qui, d’une faible voix, l’appelait : « Ma sœur, ma sœur. » Plus tard, un an après le mariage de sa fille, elle vit apparaître en songe une très belle femme, vêtue de blanc, qui tenait à la main une couronne de toute sorte de fleurs et qui disparut en lui disant : « A bientôt. » Elle comprit qu’elle était destinée à mourir dans l’année. « A partir de ce moment, elle abandonna l’administration de ses biens au bon plaisir de son mari, ne tint plus aucun compte de ses domestiques occupations, se désista de passer le temps à ses accoutumées compositions et commença à s’ennuyer de toutes choses. » Ces idées sur la communication des âmes étaient alors très répandues, et il n’y a pas lieu d’y insister. Ce qui a beaucoup plus de valeur, c’est cette correspondance spirituelle avec Briçonnet, où le confesseur et sa pénitente traitent, dans le jargon spécial, des doctrines les plus ardues et les plus quintessenciées. Marguerite a pratiqué