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d’un malade, et l’agitation incohérente et fiévreuse avec laquelle nous discutons sur l’esthétique est la preuve même que nous manquons, sur ce point, et de convictions et de direction. Sans nous attarder à de vagues doléances, après avoir constaté qu’il nous reste, en somme, un groupe fort honorable de peintres en quête de conceptions poétiques, sachons jouir de ce que nous offre l’esprit observateur et ingénieux de nos contemporains, et, à défaut de rêves sublimes, estimons, à leur prix, ces délicieuses et innombrables joies que nous peuvent donner les peintres de la réalité, par la seule contemplation intelligente de la nature et de la vie. Les beaux et bons portraits, les grands et lins paysages, les scènes de mœurs naïves ou spirituelles abondent dans les deux Salons, comme d’habitude, et pour peu qu’on aime vraiment la peinture, qu’on ait l’œil sensible au langage de la couleur et aux éloquences de la lumière, on y admire souvent avec quelle variété de vues, avec quelle verve et quelle vivacité les peintres contemporains, mal préparés, en général, aux réalisations complètes, mais fort habiles aux notations brèves et rapides, savent distinguer et définir des aspects imprévus dans le spectacle toujours mobile des êtres et des choses.

Nous avons déjà remarqué combien les portraits collectifs, les réunions d’un certain nombre de personnes dans leur milieu accoutumé, deviennent d’usage et même de mode. C’est encore une tradition qui renaît. Dès les premiers temps de la Renaissance, bien avant ces fameux tableaux de corporations hollandais dont Ravestein, Frans Hals, Van der Helst, Rembrandt et bien d’autres nous ont légué de si admirables spécimens, les peintres d’Italie aimaient à grouper leurs contemporains, soit parmi le cortège des figures idéales, en spectateurs et assistans, comme les Florentins, soit dans le cadre réel d’une salle de concert ou de festin, comme les Vénitiens, et, à leur suite, les Bolonais. Au Louvre même, le groupe de Musiciens et Artistes par François Puget, fils du grand sculpteur, la Famille de Mme Mercier par Dumont le Romain montrent (sans parler des peintures officielles) que cette pratique n’eût point répugné à nos peintres, si les mœurs leur en avaient fourni de plus fréquentes occasions. C’est depuis une trentaine d’années, depuis le réveil de l’esprit d’association, à l’imitation des Hollandais, que cet usage a décidément reparu. Tous les hommes de notre génération se souviennent de l’impression produite par le Docteur Velpeau au milieu de ses élèves de Feyen-Perrin (salle des internes à l’hôpital de la Charité) et l’Hommage à Delacroix par M. Fantin-Latour (suivi, quelques années après, par l’Atelier des Balignolles), lorsque ces deux peintures, si