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dans un décor destiné à réjouir des yeux mondains, dans un milieu de plaisirs, sous les lueurs du gaz ou de l’électricité.

Ce n’est pas, hélas ! par l’accord ni l’harmonie que la toile voisine de M. Ferrier, le Paradis des Amours, charme et retient les yeux, bien qu’elle les attire et les éblouisse. M. Ferrier, comme M. Gervais, comme beaucoup d’autres peintres avant eux (tous nos maîtres du XVIIIe siècle, Watteau, Boucher, les Van Loo, Fragonard), paraît aimer le théâtre, la vie de théâtre, les gens et les effets de théâtre, et composer d’après ses impressions théâtrales. Ce n’est pas un crime, mais c’est un danger. Telle dose de convention, d’exagération, de sentimentalité, de maniérisme qu’on accepte, comme spectateur, un instant, sur la scène et dans des acteurs, semble tout à coup excessive dans l’œuvre pittoresque et durable, qu’on regarde longuement sous la lumière naturelle, dans le milieu ordinaire de la nature et de la vie. Le ténor de M. Ferrier, fat et souriant, qui se fait cajoler par un trio de ballerines ne rappelle que de loin, pour l’agrément plastique, bien qu’on y soit presque aussi nu, le bas-relief du musée de Naples, représentant une scène érotique du même genre, Apollon et les Grâces, disent les uns, Alcibiade dans un mauvais lieu, disent les autres. Pour le reste, pour les groupes de couples amoureux ou de nymphes taquinées par les amours, on ne peut que penser à ces Jardins d’Amours (à Dresde, à Madrid, à Vienne) où l’imagination sensuelle et païenne de Rubens se donnait si libre carrière avec cette puissance de fantaisie et cette chaleur d’exécution pittoresque qui justifient seules de tels caprices. M. Ferrier est un praticien extraordinairement habile, qui enlève le morceau de nu et le bout de draperie avec une prestesse et un éclat incontestables ; cette prestesse de main ne suffit pas à faire oublier la banalité de l’imagination, et cet éclat du morceau ne fait qu’accentuer le papillotage de l’ensemble.

Avec beaucoup moins de science, pour les figures, et moins d’expérience pour l’arrangement, c’est aussi par le papillotage que M. Béroud tire l’œil sur sa bizarre, sinon inconvenante, allégorie de la Reine des Rois. Pourquoi M. Béroud, qui est un excellent peintre d’intérieur, de lambris, de marbres, de tapisseries, s’obstine-t-il à vouloir meubler ses décors de figures vivantes et à faire des tableaux philosophiques ? Quelle admirable idée d’avoir assis sur l’autel, dans une chapelle catholique, au lieu de la Madone, une fille déshabillée et de la faire adorer par de vieux nigauds de rois mages, tandis que, dans les niches latérales, des Hercules en marbre, sortant de leurs cadres, se livrent à des pugilats grotesques ! Ce n’est pas édifiant, ce n’est guère