yeux hagards et menaçans, donne la note révolutionnaire. La file pouvait s’allonger indéfiniment, car M. Pelez aurait trouvé sans peine, dans la grande ville active et laborieuse, d’autres types complémentaires, s’il avait voulu représenter vraiment l’humanité, même l’humanité restreinte de Paris en l’an 1896. La douloureuse et fatale antithèse du luxe et de la misère qui a déjà fourni matière à tant d’œuvres déclamatoires se présente ici avec une banalité enfantine. L’addition faite, après coup, d’un grand crucifix rayonnant, que nul ne regarde, dans le fond de feuillages, ne change rien à l’insignifiance de l’ensemble. Une telle pauvreté d’idées n’aurait pu trouver d’excuse que dans la force et la beauté de l’exécution, mais, sous ce rapport, malgré un talent réel de dessinateur et d’analyste, M. Pelez est resté à mi-chemin. Quelques-unes de ses figures, notamment celles des pauvres diables affamés et souffreteux, ont été vues, d’un regard perspicace, par un artiste vraiment ému et compatissant ; d’autres, celles des enfans, sont d’une tournure vive et d’un coloris charmant. Par malheur, tout cela flotte à fleur de toile, tout cela est si mince et si diaphane, qu’on croit voir des reflets plutôt que des corps. Une facture si vaporeuse est-elle acceptable en un sujet si réel, dans un cadre de telles dimensions ?
Que les peintres s’occupent des questions sociales, libre à eux ; ils trouveront peut-être là l’idéal nouveau qu’ils poursuivent, et nous en serons ravis. Leur art ne peut nous apporter la solution du problème, mais il peut nous donner l’émotion bienfaisante ou douloureuse qui dispose à le comprendre, et c’est tout ce que nous leur demandons. C’est aussi ce que nous avons le droit rigoureux de leur demander. Etes-vous très ému devant les ombres diaprées de M. Pelez ? J’en doute. L’êtes-vous davantage devant les figurines, très précises et très nettes, de M. Béraud, dans son petit tableau de la Poussée ? Je ne le crois pas. L’anarchiste au repos de M. Pelez entre ici en action. D’une violente bourrade, il a brisé la porte d’une salle à manger où des gens du monde font la noce. Les convives s’enfuient, sauf un jeune homme qui profite de l’occasion pour embrasser d’une étreinte dernière sa voisine fort décolletée ; c’est ce qui s’appelle finir d’une fin héroïque. C’est le pendant de la Madeleine d’autrefois. Jeux aimables d’une fantaisie gouailleuse et sceptique, jeux innocens d’un observateur spirituel et d’un dessinateur habile. L’exécution, si soignée et si fine, éloigne d’elle-même toute impression profonde et toute terreur durable.
Toutes ces allégories semblent bien fades à côté de la réalité. Les Belges, avec leur franchise brutale et leurs grasses palettes,