Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

M. Puvis de Chavannes, fils respectueux et tendre de l’antiquité classique, âme sereine de poète grec égarée dans l’agitation bruyante d’un siècle pratique, esprit contemplatif et synthétique comme ses aînés de Lyon, Orsel, Chenavard, Flandrin, est celui de tous qui affirma, le plus vite et le plus nettement, il y a une trentaine d’années, ses origines et ses préférences, en même temps qu’il donnait la mesure de sa propre valeur. Pour quelques-uns, ses premiers essais de décorations monumentales, unifiées et simplifiées à la façon des pompéiens et des giottesques, la Guerre et la Paix de 1861, le Travail et le Repos de 1863 (au musée d’Amiens), sont même restés ses meilleurs ouvrages. On y admire, en effet, déjà, ce rythme ample et paisible des grandes lignes et des formes expressives, ce sentiment puissant et simple des attitudes naturelles aussi éloigné du pédantisme scolaire que des affectations romantiques, cette harmonie profonde et douce des colorations apaisées dans une atmosphère égale et lumineuse, cette grave intelligence du paysage entrevu, à la manière classique, autour des figures humaines : toutes ces séductions rares et pures qui enveloppent et pénètrent l’imagination d’une indéfinissable sérénité. Ainsi nous avaient enchantés les vénérables fresques, meurtries par le temps, des villas romaines et des cloîtres toscans, la véritable école où M. Puvis de Chavannes s’était senti naître et grandir, et dont la lointaine et inoubliable majesté, depuis près d’un demi-siècle, le hante, le conseille et l’inspire. Néanmoins, dans ces travaux de jeunesse, il est trop facile de surprendre, à côté de ces mollesses ou de ces lourdeurs dont il n’a jamais pu se débarrasser complètement, un assez grand nombre de réminiscences emphatiques ou banales qui se montrent plus rarement dans ses travaux postérieurs, la conviction y semble timide encore et la liberté d’esprit incertaine ; l’on ne saurait donc les comparer, pour le caractère et pour l’originalité, avec les grandes idylles héroïques qui déroulent sur les murailles du Panthéon et de la Sorbonne l’abondance magnifique et familière de leur douce éloquence.

L’exposition des dessins de M. Puvis de Chavannes qui accompagne, au Champ-de-Mars, ses dernières peintures, est particulièrement instructive et édifiante. Elle serait plus instructive encore, si, le jour où on la renouvellerait, on la classait avec plus de méthode, en rapprochant, comme points de comparaison, les préparations du même genre, études d’après nature et esquisses,