à la baïonnette est passé, et que, dans les guerres futures, le feu sera tout.
Après la dislocation de l’armée éthiopienne, lorsque Ménélik, laissant sous les ordres du ras Mangacha une forte « couverture » devant l’armée du général Baldissera, reprit la route du Choa pour y passer la saison des pluies, les populations abyssines accoururent, des contrées les plus éloignées, pour saluer avec enthousiasme l’empereur au passage, le complimenter comme le libérateur de la patrie, et le voir recevant les bénédictions du clergé, évêques en tête. Alors, sous les rayons ardens du soleil africain, ces mêmes populations admiraient les canons et trophées conquis et assistaient, avec une curiosité avide, au défilé de la longue colonne des prisonniers italiens, avec lesquels marchait le général Albertone. La douleur de celui-ci était profonde et mal comprimée. Le négus le faisait surveiller de crainte d’un suicide. Quel spectacle à opposer aux partisans à tout prix des aventures coloniales et à tous ceux qui incitent à la conquête de régions qu’ils qualifient de nouvelles parce qu’ils n’en ont entendu parler que depuis peu !
Bien d’autres enseignemens sont à tirer de la guerre d’Abyssinie. Hier, en 1891, dans l’Extrême-Orient, nous avons vu les Japonais se révéler comme une puissance militaire de premier rang, avec laquelle l’Europe devra dorénavant compter. Aujourd’hui, beaucoup plus près de nous, dans l’Avant-Orient, nous Aboyons les Abyssins apparaître comme un peuple doué de vertus guerrières surprenantes et capable au besoin de vaincre, en bataille rangée, l’envahisseur européen. Même les succès militaires des Abyssins ont un caractère particulier que n’ont pas eu ceux des Japonais. En effet, si rapide et si extraordinaire qu’ait été la victoire de ces derniers, ce sont des « jaunes » qui ont vaincu d’autres « jaunes », les Chinois, peuple innombrable mais relativement inerte et, pour l’instant, dénué d’esprit militaire, tandis que les Abyssins, eux, ont fait reculer et ont vaincu des blancs, des Européens.
Notons aussi qu’une guerre heureuse vient d’éveiller chez les Abyssins le sentiment de la nationalité et de leur démontrer pratiquement la nécessité de l’unité de direction, nécessité entrevue seulement, par échappées, dans les luttes contre les musulmans. On croyait, ou on feignait de croire, de l’autre côté des Alpes, que l’Ethiopie, comme l’Italie elle-même autrefois, n’était qu’une simple « expression géographique ». Les événemens ont prouvé le contraire. L’unité éthiopienne s’est cimentée à Adoua. Une des erreurs de l’Italie a été d’oublier l’écrasement des expéditions égyptiennes, tentées en Abyssinie en 1875 et 1876,