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Le service de renseignemens des Abyssins a bien fonctionné. Ménélik et ses lieutenans ont toujours été au courant des préparatifs et intentions des Italiens. Les discours prononcés à Home, aussi bien que les publications faites dans la péninsule, leur étaient connus ; ils se faisaient traduire documens et journaux par des lettrés abyssins, instruits chez les missionnaires, ou par des Européens résidant dans le pays. Aussi la nouvelle d’une attaque ne les a point surpris. Les renseignemens confidentiels envoyés au souverain éthiopien et provenant directement d’Europe, passaient par la colonie italienne de l’Erythrée et par les possessions françaises de Djibouti et anglaises de Zeila. De leur côté, des amis dévoués, des coreligionnaires, les marchands grecs établis à Massaouali et en Erythrée, ainsi que des informateurs indigènes, le prévenaient, avec précision et rapidité, des débarquemens et des mouvemens des troupes expéditionnaires. Leur concentration terminée et le contact pris avec l’ennemi, les Abyssins ont su se garder mieux qu’aucune armée européenne. Connaissant admirablement le pays, ils surveillaient avec soin toutes les issues et sacrifiaient, sans pitié, les espions et gens suspects qui essayaient de franchir leurs lignes, ou dont la présence, dans leur camp s’expliquait mal. En un mot, ils avaient établi devant les Italiens un rideau impénétrable pour ces derniers.

Le général Baratieri a avoué qu’il n’avait pu ni se renseigner sur les intentions du négus, ni connaître les mouvemens de son armée. L’infortuné commandant on chef croyait « les Abyssins en dispute et divisés[1]. » En marchant sur Adoua, son but était « d’occuper tout simplement, avec ses forces réunies, une position en avant[2]. » Il avait confiance dans la victoire, et ses sous-ordres, qui n’en savaient pas plus que lui, « le poussaient à une attaque[3]. » Son guide indigène « disparut au moment critique[4]. » Ces aveux sont sincères. Les Abyssins, qui épiaient les faits et gestes de leurs adversaires, en étaient arrivés à leur faire accepter comme vrais des indices et faits erronés.

Ménélik a acquis une notoriété universelle. La photogravure a fait passer ses traits devant les foules curieuses et aimant les

  1. Lettre du général Baratieri au professeur Pederzolli de Milan ; Massaouah, 26 avril 1896.
  2. Ibid.
  3. .Ibid.
  4. Interrogatoire du général Baratieri.