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réalité des choses de la guerre. On le voit, le moyen indiqué est depuis longtemps mis en pratique par les Abyssins.


IX

Addis-Ababa, résidence habituelle du négus, est située à peu près au centre de l’empire éthiopien. Son altitude est de 2300 mètres et dépasse les hautes cimes de nos Pyrénées. Néanmoins, à cause de sa latitude, le climat y est encore chaud. Ce n’est point, à proprement parler, une cité, c’est un Katamâ, camp permanent, ville militaire, quelque chose comme Aldershot, en Angleterre, et les groupes de baraquemens du camp de Châlons, en France. La population y est nombreuse, à certaines époques, quand ras et grands vassaux viennent, avec leurs gens, camper aux environs, pour apporter leur tribut et rendre l’hommage à l’empereur. Aucun atlas ne mentionne encore Addis-Ababa, création de Ménélik qui s’y plaît et en a fait une sorte de capitale. De ce point au théâtre de la guerre, il y a plus de 1 000 kilomètres. L’empereur, accoutumé aux déplacemens, va les franchir. La marche sera longue, et intéressante, car Ménélik emmène avec lui tous les pouvoirs publics : la cour, l’administration centrale, les tribunaux supérieurs et l’élite de l’armée restent toujours sous sa main, dans son camp. C’est une décentralisation momentanée particulière au pays, comme il en a existé autrefois, en France, sous les premiers Carolingiens, et dans l’Allemagne du moyen âge. Suivons Ménélik dans sa marche vers la frontière menacée[1].

L’empereur, entouré d’une escorte plus empressée à le servir qu’à conserver ses distances, va, monté sur une belle et vigoureuse mule. Les étapes ne sont pas de longue durée, et les bêtes de choix, bien dressées, font beaucoup de chemin en quelques heures. L’empereur change parfois de monture, et va souvent à droite et à gauche observer le pays. L’impératrice, femme de cœur et de tête, dont l’influence est grande, suit bon train, mais son escorte, loin d’avoir le caractère familier de la suite de. l’empereur, garde, au contraire, un ordre parfait. Les dames de la cour accompagnent l’impératrice, protégées du soleil par des ombrelles multicolores. Elles sont montées également sur des mules, à la façon du pays, c’est-à-dire à califourchon, et observent le silence, de par la volonté de leur souveraine.

  1. Le négus convie presque toujours des étrangers à accompagner le quartier impérial. C’est ainsi que MM. Casimir Mondon et J. Gaston Vanderheym ont été, l’année dernière, compris parmi les favorisés.