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d’incidens analogues à ceux qu’elle raconte dans ce livre. Restée sans ressources avec un enfant en bas âge, et entourée seulement d’étrangers, ce furent les difficultés de cette situation qui la poussèrent à écrire et lui apprirent à se servir de sa plume. Mais elle n’oublia jamais les déboires de ces premiers temps de veuvage, coïncidant avec ses débuts dans les lettres. Elle a, du reste, souvent dit de dures vérités à la société de son temps et en a fait des tableaux qui n’étaient pas toujours pour la flatter, quoique toujours sincères, et ne s’attaquant ni à la morale, ni au vrai sentiment religieux.

Avec Wetterberg, Strandberg, Sturzen-Becker, nous entrons dans la période des romanciers publicistes. Le journalisme commence déjà à accaparer le meilleur des forces littéraires. La chronique, les revues, les feuilletons, toutes les besognes de la presse quotidienne absorbent la plus grande part de la production des écrivains en renom, des romanciers tout comme des autres. C’est le moment aussi de l’anonymat littéraire, des noms de guerre mis en vogue par les mœurs du journalisme. Wetterberg n’est connu dans les lettres que comme l’Oncle Adam ; Strandberg, que comme Talis qualis, Sturzen-Becker, que comme Orvar-Odd. Sous le nom de Léa se cachait une femme de talent qui a aussi beaucoup écrit, Mme Wettergrund. Les romans des écrivains que nous venons de nommer marquèrent dans la littérature de leur époque, qui fut particulièrement riche en écrivains habiles ; mais aujourd’hui ces livres, vieux à peine de vingt à trente ans, nous font déjà l’effet de restes d’un autre siècle.

Cette période assez brillante fut suivie d’un moment d’arrêt, d’une suspension de la vie littéraire, à laquelle succéda, il est vrai, une renaissance éclatante de la poésie avec les Rydberg, les Snoïlsky, les Wirsén, qui ressuscitèrent les grandes traditions du passé. Avec eux nous abordons déjà les contemporains.

M. Victor Rydberg traite les problèmes de morale et de religion qui agitent notre époque, et le fait avec une élévation de vues, une profondeur de sentimens remarquables. C’est un statuaire de l’idée. Il la coule dans ses vers somme l’artiste coule en bronze les formes idéales qu’il a rêvées, leur donnant presque toujours une expression définitive. Ses romans sont plutôt des études d’esthétique sur les civilisations anciennes, des monographies sur les grandes phases de la pensée humaine à travers l’évolution des idées et des sentimens. Dans son Dernier Athénien, il évêque le monde hellénique vaincu et transformé par le christianisme : il montre dans l’Écumeur de la Baltique le christianisme aux prises avec le paganisme Scandinave, et, dans