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Ainsi du contraste des élémens est né le contraste dans les idées. La brusque succession de températures extrêmes a donné à la pensée l’habitude et le goût des sentimens extrêmes. Et c’est sans doute à la solennité des manifestations naturelles que la race suédoise est redevable de la gravité, de l’énergie, de la facilité d’enthousiasme qui sont ses traits caractéristiques.

Ces contrastes se reflètent jusque dans la langue que parle ce peuple. Forte, claire, mâle et sonore, la langue suédoise n’a point la souplesse des langues méridionales. Elle ne se prête guère aux finesses des nuances. Riche en images puisées dans la nature, simples et frappantes, elle est pauvre pour l’expression des sentimens compliqués, des transitions graduées. Restée jeune malgré son ancienneté historique, à travers toutes ses transformations elle a gardé la fraîcheur, la verdeur, la rudesse primitive. Elle ne connaît pas ces changemens, ces affaiblissemens progressifs de la valeur des mots, qui sont comme les cheveux blancs et les rides des langues trop civilisées. Si peut-être elle a quelque chose d’anguleux et de brusque, elle demeure du moins robuste et franche, et aucune langue ne la vaut pour la peinture des contours tranchés, des états d’âme définis, des idées pleines et des fortes passions.

À chaque page, dans l’histoire de la Suède, comme dans sa littérature, vous rencontrerez les mêmes particularités : le brusque désir de l’effort survenant au milieu du rêve le penchant à l’enthousiasme et la promptitude au découragement, le goût des aventures lointaines s’unissant à un profond amour de la patrie. Ce sont là les traits les plus saillans de la mythologie Scandinave, avec son mélange de sombres grandeurs et de naïvetés enfantines. Ce sont là encore ceux des sagas d’Islande, tantôt si douces et si tendres, tantôt d’une rudesse sauvage. Vous les retrouverez aussi dans l’âme aventureuse de ces anciens guerriers du Nord : les Vikings s’embarquant pour aller conquérir un royaume ; ou Varegues allant clouer leurs boucliers jusque sur les portes de Constantinople et défendant ensuite l’Empire de Bysance, comme ils avaient défendu Kief et Novgorod. Enfin ne les retrouvez-vous pas dans les épopées plus récentes des Gustave-Adolphe et des Charles XII, entraînant tout un peuple loin de ses foyers, le poussant à de gigantesques entreprises, hors de toute proportion avec ses moyens réels, et sans aucun espoir d’un profit possible ? Il suffisait, pour provoquer ces immenses efforts, de l’enthousiasme d’une idée : et bientôt cet enthousiasme s’épuisait, laissant après lui un découragement profond, si profond que de longues années s’écoulaient sans réussir à le vaincre.