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de ces contrées est encore essentiellement terrienne. Les seigneurs vivent tout le long de l’année dans leurs domaines, cultivant leurs champs, se maintenant en contact quotidien avec le peuple. Aussi la noblesse suédoise, en dépit des réformes qui l’ont dépouillée de ses privilèges, garde-t-elle l’influence que lui donnent ses traditions, son passé glorieux, son habitude de domination, ses intérêts agricoles. Le château reste aujourd’hui encore le centre d’activité de la contrée. Malgré leur isolement apparent au milieu des bois et des plaines, le château, le presbytère et l’école sont en communication immédiate avec tout le pays. Pour achever de les rapprocher, un réseau téléphonique traverse la campagne en tous sens. L’usage du téléphone est désormais si bien entré dans les habitudes suédoises, qu’il n’y a presque plus de domaines ni de ferme de quelque importance où on ne le trouve installé.

Au milieu de cette nature douce, calme, un peu mélancolique, portant l’homme au rêve et à la contemplation, le climat seul apporte un élément de contraste et de variété. En hiver, ces vallées, ces champs, ces bois et ces lacs se couvrent d’une immense et uniforme couche de neige. Et cet hiver sombre et rude, ce terrible hiver où tous les élémens semblent se liguer contre l’homme, toujours il succède brusquement, presque sans transition, à des étés merveilleux, les plus clairs et les plus doux que l’on puisse rêver. Le printemps et l’automne, dans cette région, n’existent pour ainsi dire pas. Au premier sourire du soleil, la nature s’éveille comme sous le toucher d’une baguette magique ; et aux premières bises d’hiver elle se rendort aussitôt, s’ensevelit de nouveau dans son linceul de neige. Et c’est ainsi une succession indéfinie de contrastes dans la nature, imposant à l’homme des alternances régulières d’efforts précipités et de repos forcés.

Quoi d’étonnant après cela si l’homme de ces contrées s’est accoutumé aux contrastes violens ; si jamais, en revanche, il n’a pu acquérir la notion des transitions graduées, des nuances subtiles ? Ces radieuses journées d’été, avec leurs longs crépuscules qui vont rejoindre l’aurore, toute cette nature brusquement éveillée à la vie, le calme des eaux, la douceur monotone des bois, le silence des vallées, tout cela le porte aux émotions vagues, aux tendres rêveries, à cette mélancolie tranquille que ne manque jamais de faire naître en nous une longue contemplation de la nature. Mais le retour subit des hivers, avec leur rigueur sans merci, lui a donné en outre un profond instinct d’énergie et de résistance ; comme si, devant l’hostilité du climat, il se sentait obligé de réagir par un effort vigoureux et comme si même il avait besoin de cet effort pour se distraire et pour oublier.