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mélodie et l’accompagne, une solidarité nouvelle s’établit et de plus nombreuses réactions se produisent. Qui donc, écoutant l’adagio de la sonate de Beethoven en ut dièse mineur, n’a pas senti de quelle douceur amie et consolatrice les arpèges enveloppent le chant désolé ? Qu’est-ce que la fugue, sinon un mode rigoureux, le plus rigoureux même, de l’association entre les élémens ou les êtres sonores ? La variation en est un autre, plus libre et comportant plus de variété. Un jour que le hasard avait mis sous nos yeux et sous nos doigts certaines variations de Haendel et les Études symphoniques de Schumann, l’opposition des deux œuvres, au point de vue qui nous occupe, nous apparut et nous frappa. L’une et l’autre ne sont autre chose qu’un thème varié. Qu’est-ce donc qu’un thème varié ? C’est l’évolution de formes ou plutôt de forces multiples et changeantes, sous l’influence et comme sous l’autorité d’une force supérieure et constante ; c’est une sorte d’économie, de hiérarchie vivante ; c’est un certain système de rapports entre le nombre et l’unité, entre un individu et un groupe. Or, dans l’œuvre de Hændel et dans celle de Schumann, ces rapports sont régis par des lois absolument opposées. Très calme, très sage, le thème de Hændel est tout simplement suivi de cinq « doubles », comme on disait autrefois. On disait bien, car de telles variations ne consistent guère que dans un accroissement numérique, dans la progression régulière, et de deux en deux, de valeurs de plus en plus rapides. D’ailleurs nul changement de mesure ou de rythme ; tout conflit évité, toute passion absente. Des voix toujours plus nombreuses, mais dont aucune jamais ne s’écarte ou ne s’égare, ne contredit ou ne conteste. Partout l’accord et le consentement unanime, partout enfin l’image d’une société polie, heureuse, que suffit à maintenir dans la discipline et l’ordre, le souvenir ou l’ombre seule du thème accepté de tous et de tous obéi. Chez Schumann, au contraire, que voyons-nous ? D’abord un thème plus âpre, et malgré cela moins décisif, plus sombre et moins ferme à la fois. On sent tout de suite qu’il n’apporte pas la paix, mais la guerre ; qu’il vient pour diviser et non pour unir. Déjà la première Étude symphonique annonce une révolte prochaine. Et cette révolte éclate magnifiquement dans la seconde Étude, où je ne sais quelles âmes solitaires, farouches, protestent et refusent de se soumettre, ou seulement de s’associer. Chaque variation désormais s’affranchit et s’emporte, rune par fantaisie et caprice, l’autre par égoïsme et par orgueil. Ainsi l’idée, qui devrait commander, est esclave et quelquefois victime. On la méconnaît, on la dénature, on va presque jusqu’à lui faire violence. Et ce « beau désordre » sans