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agir en habile homme, il faut parler de faire grand éclairage avec peu d’argent. »

Les avantages de l’électricité sont tels que, partout où elle s’est installée, elle a immédiatement vu venir à elle la clientèle de luxe, quel que fût le prix du gaz. A Londres, où le gaz coûte trois fois moins cher que chez nous, le chiffre des lampes électriques est, proportionnellement à la population, aussi élevé qu’à Paris. Quoiqu’il soit plus économique de manger du cervelas et des pommes de terre frites que les poulardes de Bresse ou les huîtres d’Ostende, la consommation de ces dernières denrées n’est point arrêtée pour cela ; non plus que l’usage des fiacres n’a été supprimé par les omnibus, ni la location des voitures au mois par la concurrence des fiacres. Un petit groupe de citoyens peuvent régler leur dépense selon leur agrément ; mais la foule de la nation doit subordonner son agrément à sa dépense.

Un quart des appareils en marche appartient à des établissemens qui possèdent des moteurs et produisent eux-mêmes leur courant : théâtres, gares de chemins de fer, grands magasins ou hôtels. Si, des abonnés aux six secteurs, entre lesquels est partagée la superficie de la capitale, on retranche les boutiques des quartiers riches, les bureaux des administrations, où l’on regarde moins à l’éclairage parce qu’il rentre dans les « frais généraux », il ne reste qu’un personnel très restreint de cliens « bourgeois ». Par exemple, la plupart ont un chiffre d’ampoules à incandescence supérieur à celui des becs de l’abonné moyen du gaz. Il en est peu qui atteignent le total prestigieux des 5 000 lampes dont le prince Roland Bonaparte a doté son hôtel, le plus éclairé sans doute de Paris. Mais les détenteurs de 200 et 300 lampes ne sont pas rares ; seulement leur consommation journalière n’est nullement en rapport avec les facultés lumineuses dont ils n’usent qu’à intervalles éloignés, au lieu que le petit client de 3 ou 4 lampes s’en sert tous les jours.

C’est à acquérir ces petits cliens que tendent les efforts des directeurs prévoyans et actifs de nos secteurs électriques, tels que M. de Tavernier sur la rive gauche ; M. Lalance sur la rive droite. Ils s’appliquent dans ce dessein à suivre les procédés qui ont réussi à la compagnie du gaz, en greffant à leurs frais sur les câbles de distribution les fils des particuliers timides. Ils feraient sagement aussi de réduire au minimum les frais accessoires qui incombent à l’aspirant-abonné, justement effrayé de la note copieuse qu’il devra payer chaque mois, avant d’avoir tourné le bouton d’un seul commutateur.

L’énergie électrique, qui porte à 2 500 degrés de chaleur ces