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le résultat d’une série d’artifices fort ingénieux. On fut d’abord arrêté par la difficulté d’extraire économiquement la stéarine de la masse du suif ; certaines méthodes étaient trop chères, certaines autres trop dangereuses. Parvenus, par l’emploi de la chaux et des presses hydrauliques, à se procurer leur matière première dans l’état de pureté voulue, les manufacturiers se trouvèrent fort empêchés d’en tirer parti. Ils étaient paralysés par la question des mèches ; les unes s’engorgeaient, les autres se corrodaient ; de sorte que tantôt la bougie coulait et tantôt elle s’éteignait. Obtenir, grâce à un tressage très curieux du coton et à son immersion préalable dans l’acide borique, ces lacets qui se recourbent lentement sur eux-mêmes et disparaissent sans laisser de trace, à mesure que la bougie se consume, n’a pas été un mince problème à résoudre.

Les perfectionnemens apportés depuis soixante ans à la stéarinerie laissent aujourd’hui aux fabricans le choix entre plusieurs systèmes dont chacun a ses avantages : ainsi la distillation a permis de transformer en acides concrets, propres à l’éclairage, non plus seulement les suifs, mais les résidus des huiles d’olive ou de poisson, les graisses dites de boyaux, provenant des raclures d’intestins, celles que l’on retire des os, ou du désuintage des draps, ou même des eaux grasses de restaurant. À ces déchets impurs et noircis on peut joindre l’huile de palme, que l’Afrique fournit en abondance ; et le tout, convenablement traité, fournit des produits qui ne diffèrent en rien des suifs frais.

Seulement ces améliorations de l’outillage, et les abaissemens successifs de prix dont la bougie a été l’objet, ne l’empêchent pas d’être vouée à une irrémédiable décadence. Comme le colza, la bougie vend ses services trop cher, et ce qui est vrai du premier l’est bien davantage de la seconde, dont la lumière coûte quatre fois plus que celle de l’huile. Un illustre électricien s’amusait à dire que, si la chandelle faisait aujourd’hui sa brusque apparition dans le monde, elle serait regardée comme une admirable trouvaille. « On ferait valoir ses immenses avantages, permettant à chacun d’avoir aisément de la lumière sous la forme la plus portative, sans machinerie encombrante et sans l’inconvénient d’obliger à relier une lampe à un point déterminé, à l’aide de fils, avant de pouvoir s’éclairer. »

Cette complexité est le propre même de lit civilisation ; rien n’est moins combiné et plus naturel que l’état sauvage. L’existence matérielle de l’homme policé s’enrichit de mille besoins délicieusement factices ; aussi bien le cerveau de l’homme cultivé ne s’encombre-t-il pas d’idées inutiles qui font tout le