il lui suppose tout le succès qu’elle souhaiterait. A vrai dire, le léger progrès qu’accusent les statistiques de 1893 est purement extérieur ; la couche de vernis religieux, qui dissimule en beaucoup de pays l’apostasie réelle des sociétés, s’était, à Berlin, fortement écaillée ; tant bien que mal, on l’a rajeunie et solidifiée ; ce fut un de ces crépissages qui font durer les façades sans en affermir les fondations. Que le résultat obtenu réjouisse certains partis politiques, on le comprend ; mais les âmes pieuses demeurent sans illusion. Au-dessous du monde officiel, — aussi strictement évangélique que l’empereur l’est en fait et que l’Etat prussien l’est en principe, — vous coudoyez à Berlin deux catégories d’hommes. D’une part une bourgeoisie se piquant de lumières, associant la religion, par convenance et par civilité, aux grands actes de la vie, mais incrédule foncièrement : elle a comme desservans attitrés, pour ses rares besoins religieux, des pasteurs hommes du monde, de science aimable et de haute courtoisie, détestant la rigidité doctrinale comme une chose de mauvais ton, adeptes et apôtres d’une certaine foi facile, pas plus encombrante qu’impérieuse, discrète et souple comme toute opinion de salon. D’autre part une masse populaire fortement conquise par le socialisme, toujours sarcastique et souvent haineuse contre l’église établie, et soupçonnant volontiers cette église de travailler pour le salut du trône et la sécurité des coffres-forts plutôt que pour la gloire de Dieu. Par principe politique aussi bien que par impiété, cette foule se dérobe à l’action apostolique du protestantisme. C’est par principe, aussi, qu’elle préfère l’union libre au mariage ; elle a un système d’idées et d’instincts qui exclut toute déférence, même superficielle, envers les usages ecclésiastiques. Il est vrai que le génie allemand concilie parfaitement l’irréligion et la religiosité ; et l’impiété la plus radicale est encore tout heureuse de s’habiller de mysticisme, au sein de certaines sectes dont nous parlerons un jour. Mais entre le protestantisme officiel et la population ouvrière de Berlin, un fossé est creusé. « Trop tard, la place est prise : » en Prusse rhénane, c’étaient les catholiques qui tenaient ce langage aux socialistes ; à Berlin, ce sont les socialistes qui ripostent ainsi aux tentatives d’action sociale d’un certain nombre de pasteurs évangéliques, paralysés d’ailleurs depuis quelques mois, en Prusse, par la prudence quasi épiscopale du Conseil suprême ecclésiastique.
A des degrés divers, les grandes villes protestantes de l’empire se rapprochent, toutes, de l’irréligion berlinoise. On peut se demander, même, si Hambourg ne dépasse pas Berlin, malgré l’édifiant voisinage, au Rauhe Haus, des créations, religieuses et sociales du pasteur Wichern : on y comptait, en 1893, sur 100