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mais d’une cime toute prochaine, d’autant plus impérieuse que médiocre en était l’altitude, étouffant tout dans l’étroit périmètre qu’elle commandait, et concentrant sur elle-même les rayons de la religion plutôt qu’elle ne les répercutait. S’exaltant sur un pareil faîte, l’État fixait aux sujets l’obédience de Luther ou l’obédience de Rome, et mesurait d’ailleurs, en ce dernier cas, le degré de déférence qu’ils devaient au pape.

Un jour vint où l’ancien régime sombra ; de ces innombrables princes, évêques, abbés et margraves, qui détenaient chacun quelques terres et quelques âmes allemandes, la ruine fut en un clin d’œil consommée ; leurs querelles de mitoyenneté furent oubliées ; leurs peuples furent triturés et mêlés pour l’installation d’un nouvel équilibre germanique ; leurs juristes tombèrent en inactivité d’emploi ; ce fut une universelle et brusque déchéance ; et de tout ce que ces princes avaient pensé et ordonné, c’est dans la géographie religieuse, et là seulement, que subsistent des vestiges. Pour les y rencontrer en grand nombre, il suffit de se promener à travers l’Allemagne religieuse, avec une vieille carte de l’Allemagne politique.

Un peu plus de trois lieues séparent Tubingue, la ville universitaire du Wurtemberg, et Rottenburg, la bourgade épiscopale. La route est plane ; parfaite de rectitude et d’aisance, elle ne frôle aucun de ces obstacles naturels qui maintiennent parfois des douanes intellectuelles : on imaginerait, à l’œil nu, qu’un même courant, flux protestant ou reflux catholique, a dû s’épandre tout le long du chemin, et que ce morceau de terre, homogène au point de vue physique, est homogène aussi au point de vue religieux. Il n’en est rien ; sous l’aspect uniforme des choses survivent, entre les hommes, des bigarrures de croyances ; tels villages sont protestans, tels autres catholiques, suivant qu’ils relevaient, aux siècles passés, du duché de Wurtemberg ou du comté de Hohenberg ; la lisière mitoyenne qui séparait les deux territoires s’interposait, à la façon d’une cloison étanche, entre les deux confessions. Parmi les Souabes, jadis soumis à des dominations diverses, le XIXe siècle a pu créer une certaine unité politique ; mais dans cette patrie agrandie et précisée que le Wurtemberg leur a ménagée, le morcellement religieux persiste, dernière trace d’une époque où l’unité n’existait pas.

Pour une plus persuasive expérience, descendez la rive badoise du Rhin. Vous y trouvez d’abord une assez longue bande protestante : ainsi le voulut Charles II, margrave de Bade-Durlach, qui réforma son église en 1553. Mais à trois reprises cette bande est trouée par des villages catholiques : dépendant de l’évêché de