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philosophiques, des articles de foi nombreux, enchaînés, tous essentiels : où leurs aînés rêvaient d’émancipation, eux voulaient établir « l’unité des esprits ». Créer cette unité après leur mort, sur la ruine des erreurs qu’ils auraient dû combattre toute leur vie, ne leur suffisait pas : c’est pour eux-mêmes qu’il leur fallait travailler et vaincre. Aussi leur ambition, dédaigneuse de l’apostolat, aspirait au pouvoir, au pouvoir qu’un hasard apporte, qu’un instant suffit à saisir, qui fournit les moyens rapides, multiples et décisifs pour briser les volontés des autres et changer ses propres volontés en lois. Et sachant combien leurs projets étaient vastes et quelques-uns impopulaires, ils ne souhaitaient pas un gouvernement débile, ils ne songeaient pas à amoindrir mais à accroître « les droits de l’Etat. » Leurs sentimens envers l’empire étaient un mélange de haine et d’envie : ils ne détestaient que le maître du régime, ils admiraient au fond le système et la simplicité puissante avec laquelle ce mécanisme produisait l’obéissance. Dédain pour l’opinion publique, culte d’eux-mêmes, goût du pouvoir, hâte de le posséder, tout les rendait étrangers aux scrupules sur la manière de le prendre, et parmi toutes les voies de succès, ils estimaient la plus légitime celle qui permettait de le saisir plus vite et de le garder plus longtemps.

Les hommes qui, dans le gouvernement du 4 Septembre, représentaient cette génération, étaient pénétrés de cette philosophie. Sans doute ils rendaient le même hommage que leurs devanciers aux « immortels principes. » Ils avaient édifié leur fortune publique sur le suffrage populaire, et le langage par lequel on gagne les peuples ne varie pas. Mais ils ajoutaient aux vieilles formules des correctifs inusités jusque-là, et l’on aurait pu surprendre sur leur visage et dans leur accent un peu du dédain habituel à ceux qui se servent des mots pour ceux qui y croient. Ils avaient été, au Corps législatif, les plus favorables à la politique violente. Ils semblaient, dans le gouvernement, les plus prêts à devenir hommes de parti. Ils avaient compris que, si la majorité des citoyens aspire à un gouvernement honnête et sage, les modérés sont les moins capables de le défendre et les moins dangereux à mécontenter ; que, surtout en France, une longue habitude du pouvoir absolu et la complicité des lois où il se survit, réduisent l’opinion publique à être le concours fortuit de volontés sans permanence, sans discipline ni vigueur ; que seuls les groupes organisés poursuivent ces efforts soutenus, et par suite ont, si peu nombreux que soient leurs adhérens, une action vraiment efficace ; que le gouvernement le plus conforme aux vœux publics avait tout à craindre, s’il tournait contre lui