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par l’éclat immortel de cette épopée, l’Amérique, dans ses deux continens, n’avait-elle pas conquis son indépendance avec des milices, contre les troupes réglées de l’Angleterre et de l’Espagne ? La guerre de la sécession entre les Etats-Unis n’avait-elle pas prouvé que des citoyens, étrangers jusque-là au métier, peuvent fournir non seulement des soldats intrépides, mais des généraux novateurs, et léguer à l’admiration de l’avenir des modèles de tactique et de stratégie ? Le Mexique n’avait-il pas, avec des partisans, lassé la France et anéanti les forces mercenaires de Maximilien ? La Prusse n’avait-elle pas vaincu en 1866, avec des hommes formés par un court service, les vieux régimens de l’Autriche ? L’Allemagne enfin ne venait-elle pas d’écraser sous la masse de ses landwehriens, qui la veille exerçaient tous les métiers de la vie ordinaire, les soldats les plus renommés du monde ? Pour s’enquérir si les volontaires de 1792 auraient obtenu leur gloire sans leur amalgame avec les vieux régimens du roi, si la valeur des armées républicaines ne fut pas faite de cette union où les uns apportaient l’enthousiasme et les autres la discipline, et si dès la fin de la République, sous le Consulat, et jusqu’à la fin de l’Empire, la force de ces armées n’était pas dans leurs vieux soldats ; pour se demander si l’émancipation des colonies américaines ne fut pas une victoire de la nature plus que des hommes, si l’infériorité véritable des puissances européennes ne fut pas l’obligation de combattre, à travers les mers et avec une faible partie de leurs forces, une population qui luttait chez elle et avec toutes les siennes, et si l’aide des troupes françaises, troupes de métier, fut inutile aux milices de Washington ; pour comprendre que la guerre de Sécession, mettant aux prises deux forces inexpérimentées et dont l’éducation se fit en même temps, ne fournissait aucune lumière sur la valeur comparée des troupes régulières et des milices, et que cette leçon aurait été donnée seulement au cas où l’un des adversaires aurait eu à soutenir avec des formations improvisées l’effort d’une armée préparée de longue main par l’autre ; pour se rendre compte qu’en Allemagne la discipline sociale d’une nation hiérarchique et respectueuse préparait la discipline militaire de l’armée, et que cette armée où tout homme était durant trois années soumis à un enseignement méthodique et à un joug de fer ne ressemblait pas à une garde nationale ; pour s’aviser enfin que, dans nos défaites de 1870, la résistance opposée, à des forces si bien préparées et si admirablement conduites, par nos soldats si intérieurs en nombre et si dépourvus de chefs, prouvait la puissance amassée en chacun de ces hommes par le long enseignement de l’obéissance et de