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VII

Mais est-ce, seulement, sur la guerre et la paix, sur l’histoire politique contemporaine que les annalistes du journal prêtent à la finance un empire chimérique ? Il va de soi, pour certains folliculaires, que la haute banque étant omnipotente, son ascendant s’étend à toutes choses, au monde économique aussi bien qu’au monde politique. Pour sembler, a première vue, moins surprenant, cela n’est guère plus vrai. Ici, encore, la passion des uns, la crédulité des autres, imputent à la finance des événemens, des révolutions qui, loin d’être toujours son fait, dépassent souvent ses forces.

Un exemple. Il est de mode, en certains cercles conservateurs ou radicaux (sur ces questions, l’ignorance est égale dans les deux camps), de rejeter sur la haute banque cosmopolite les variations des métaux précieux, spécialement la baisse du métal argent. Le triomphe, encore incomplet, de ce qu’on appelle improprement le monométallisme or est signalé comme le résultat d’une conjuration de banquiers. Si le métal blanc baisse par rapport au métal jaune, c’est la faute des banquiers, « la faute aux juifs », car pour nombre de bonnes gens, juifs ou banquiers, c’est tout un. Les juifs ont accaparé For ; après avoir raréfié le métal jaune, ils ont fait démonétiser l’argent.

Telle est la nouvelle théorie des changes qu’une prétendue économie sociale chrétienne enseigne aux peuples. On semble même ne plus savoir que, si l’or est entassé quelque part, ce n’est pas dans les coffres de la haute banque, mais bien dans les caves des banques nationales. La banque, dit-on, vit des variations du change ; elle ne veut plus du quinze et demi universel, de l’ancien rapport fixe établi, si longtemps, entre l’or et l’argent ; c’est pour cela qu’en Autriche, par exemple, la banque juive a fait voter la « valuta » d’or. Il paraît que le monométallisme est, pour cette banque juive, un moyen d’asservir le monde. Voilà ce que nous débitent, sérieusement, les antisémites, non seulement dans les campagnes d’Autriche-Hongrie, mais jusque dans les presbytères français. En vérité, on pourrait garder cela pour les paysans du Danube ou de la Theiss !

Il y a, au triomphe de l’or et à la baisse de l’argent, des raisons évidentes, matérielles, persistantes, que les économistes ont fait ressortir maintes fois. Ce n’est pas la haute banque cosmopolite qui, sans démonétiser l’argent, tend à le réduire au rôle de monnaie d’appoint, c’est l’excès même de la production de l’argent. La dépréciation de l’argent a pour principe des lois naturelles