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amis des groupes ouvriers » avec lesquels M. le duc d’Orléans aime à s’entretenir lui ont demandé l’autorisation de faire une manifestation électorale sur son nom. M. le duc d’Orléans n’avait pas à poser de candidature ; il sait très bien qu’il ne peut pas être candidat ; mais il est d’avis que le suffrage d’une « bourgade de France, fût-ce la plus modeste », qui le désignerait après les siens, et à leur exemple, « comme le bon serviteur du pays », serait pour lui une chose honorable et peut-être utile. Il parle à plusieurs reprises de ses ancêtres. « Ceux de qui je tiens affrontèrent, écrit-il, bien d’autres luttes et bien d’autres hasards que ceux dont votre zèle s’inquiète ! » Cela est vrai, mais encore bien plus qu’il ne le dit. Il n’est venu à l’idée d’aucun des ancêtres de M. le duc d’Orléans, — nous parlons de ceux qui, comme lui, pouvaient prétendre à la couronne, — de courir seulement des « hasards » électoraux. Peut-être ces hasards n’ont-ils rien de contraire à la « dignité royale », mais certainement ils ne sont pas faits pour la rehausser beaucoup, quel qu’en soit d’ailleurs le dénouement. Il y a une certaine disproportion entre le terre à terre de ce projet bourgeoisement électoral et tout le tapage qui en a été fait. M. le duc d’Orléans a tenu à dire qu’il n’avait pas une « vaine défiance du suffrage universel », et à protester contre « l’absurde légende d’une prétendue incompatibilité entre le droit monarchique et le droit électif, alors, dit-il, qu’il ressort à ses yeux de l’étude de ce siècle que les deux principes tendent incessamment à se combiner et à se confondre dans des régimes transactionnels. » Soit ; admettons qu’il n’y ait pas d’incompatibilité entre le principe électif et le principe monarchique ; mais M. le duc d’Orléans ne voulait pas se faire élire roi, il voulait seulement se faire élire député. Ce n’est pas du tout la même chose, et l’un ne conduit pas nécessairement à l’autre. Encore une fois, on a fait ici beaucoup de bruit pour rien, ou du moins pour peu de chose. Peut-être M. le duc d’Orléans a-t-il d’autres projets qu’il n’a pas dits : ses amis, les jeunes, le croient et le laissent entendre. La disproportion même que nous avons signalée entre le ton de sa lettre et son objet immédiat font craindre, en effet, qu’il ne nourrisse encore d’autres desseins. Faut-il croire que le gouvernement de M. Méline soit également menacé par les entreprises de M. duc d’Orléans et par celles de M. Bourgeois, par la lettre de Villamanrique et par le discours de Melun ? Non, assurément. Le danger sérieux, au moins pour aujourd’hui, n’est que du côté des radicaux et des socialistes. Telle est l’impression générale, et sa généralité même montre que la lettre de M. le duc d’Orléans n’a pas produit tout l’effet qu’il en attendait. Nous voulons bien la prendre au sérieux, mais personne ne la prendra au tragique. La situation politique n’en a été en rien modifiée. A la veille de la rentrée des Chambres, toutes les préoccupations sont et restent ailleurs.