de mieux connaître son projet pour en parler à bon escient ; mais nous pouvons dire dès aujourd’hui que, quel que soit ce projet, il ne satisfera pas, il ne désarmera pas les radicaux-socialistes. Ceux-ci se sont déjà partagé les rôles, afin d’être prêts à tout événement. M. Doumer, ancien ministre des finances, se prononce avec énergie contre l’impôt sur la rente dans des articles de journaux ; il trouve cet impôt inique, inacceptable et presque monstrueux, comme s’il n’était pas compris dans l’impôt général sur le revenu qu’il avait proposé lui-même. Faut-il en conclure que les radicaux et les socialistes sont opposés à l’impôt sur la rente ? Ce serait aller trop vite. D’autres radicaux, d’autres socialistes s’en déclarent partisans, et l’un d’eux, M. Rouanet, en a donné pour raison qu’il était la première atteinte sérieuse portée à la propriété. Est-ce bien pour faciliter le vote de l’impôt sur la rente que M. Rouanet tient ce langage ? Et n’est-ce pas plutôt pour l’empêcher que M. Léon Bourgeois, dans un discours qu’il vient de prononcer à Melun, l’a reproduit avec une évidente satisfaction ? Nous demanderons comme Figaro : Qui trompe-t-on ici ? M. Cochery propose-t-il l’impôt sur la rente ? Aussitôt il a contre lui M. Doumer. Ne le propose-t-il pas ? Il a contre lui M. Rouanet, M. Jaurès, tous les socialistes et bon nombre de radicaux. Situation embarrassante. Elle ne le serait pas assurément si les modérés étaient d’accord sur la question, mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi. L’impôt sur la rente a des partisans jusque sur les bancs de la droite. Voilà comment une question qui aurait dû rester purement financière est devenue politique au premier abord. C’est autour d’elle que se livrera le combat décisif, et par le plus imprévu renversement des rôles, on verra des modérés et des droitiers voter l’impôt sur la rente, et des radicaux, peut-être même quelques socialistes, voter contre. Les préoccupations de crédit public, dont la place est au premier plan dans cette grave affaire, passeront au second, sinon au troisième. Étant donné cet état des esprits, on comprend que le gouvernement ait hésité et tâtonné longtemps.
Les radicaux, ne pouvant pas mordre sur les actes d’un ministère qui n’en accomplissait aucun, ne sont pourtant pas restés inactifs. M. Bourgeois a profité de l’inertie et du silence du gouvernement pour prendre lui-même la parole ; il l’a fait à Melun dans un discours auquel nous avons déjà fait allusion. Ce discours n’ouvre d’ailleurs aucune vue nouvelle ; il n’est que la reproduction, en termes un peu affaiblis, de ce que M. Bourgeois avait dit et répété plusieurs fois déjà depuis sa dernière transformation politique. Révision constitutionnelle afin de mettre désormais le Sénat dans l’impossibilité de renverser les ministères, surtout les ministères radicaux ; impôt général sur le revenu, avec dégrèvement gradué pour les petits contribuables, c’est-à-dire avec le caractère partiellement progressif, — telles sont les