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capitalistes, avec plus de risques de ruine, plus d’occasions de gain. Il en est, si l’on veut, des financiers comme des officiers : la guerre fait avancer ceux qu’elle ne tue pas. La guerre est une grande destructrice de capitaux ; — cela seul en ferait un des fléaux de l’humanité ; — par-là même, la guerre relève la valeur et le revenu des capitaux qu’elle ne consomme pas. Si elle ébranle, si elle renverse beaucoup de fortunes, elle en édifie quelques-unes. Elle se prête à la spéculation ; elle a une fièvre d’action et de mouvement qui, en affaires comme en tout, fait des mois ou des semaines des années ; elle ouvre aux esprits hardis et aux mains habiles des perspectives vastes et rapides. C’est, par excellence, et en toutes choses, l’époque des grands coups, comme des grands risques. Puis, de tout temps, pour faire la guerre comme pour conclure la paix et réparer les maux de la guerre, il a fallu des avances de capitaux, des prêts effectués par les banques, ou par l’intermédiaire des banques. Déjà, au moyen âge, il se trouvait des bailleurs de fonds, des prêteurs, juifs ou lombards, pour avancer aux princes les premiers frais de leurs expéditions. C’est ainsi un juif anglo-français, si j’ai bonne mémoire, qui fournit à Henri II Plantagenet les fonds pour la conquête de l’Irlande, venant par-là en aide aux papes qui avaient octroyé la verte Erin aux Anglo-Normands. Ce n’est pas que les juifs eussent le monopole de ce genre d’opération. Alors, tout comme aujourd’hui, les chrétiens ne s’en faisaient pas plus de scrupule. Florence se souvient encore des Bardi et des Peruzzi qui prêtèrent au roi Edouard III 1 500 000 florins d’or pour assaillir la France, — 1 500 000 florins d’or, environ 60 millions de notre monnaie, somme énorme pour le temps et dont la riche Angleterre a fait banqueroute aux Peruzzi. Dirons-nous, pour cela, que les Florentins se plaisaient à mettre les nations aux prises ? A cet égard, il vaut la peine de le noter, notre siècle corrompu vaut peut-être mieux que les lointaines époques réputées chrétiennes. Il n’y a plus, aujourd’hui, de banquiers avançant des fonds à un pays étranger pour envahir une nation voisine. Les emprunts de guerre sont des emprunts nationaux ; si la finance cosmopolite intervient, c’est dans les emprunts de la paix, pour panser les blessures de la guerre.

De même, on pourrait soutenir que, si les hommes d’argent, si les banquiers ont jamais été les maîtres de la paix et de la guerre, ce pouvoir était plus grand autrefois qu’aujourd’hui. Car, enfin, au moyen âge, les rois n’avaient pas la ressource des emprunts publics, ils n’avaient pas les facilités du cours forcé et du papier-monnaie ; les hommes d’argent, les juifs, les Lombards, les Génois, les Vénitiens, plus tard les Hollandais ou les Anglais,