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l’institution d’Albermale Street, une conférence sur les feuilles d’arbres, considérées comme objets physiologiques, pittoresques, moraux et symboliques. La conférence passe pour avoir fait fiasco, et en effet cela est vrai au point de vue conférence, mais seulement à cause de l’EMBARRAS DES RICHESSES, un cas assez rare. Ruskin nous a jetés, comme à coups de canon, ses idées sur les feuilles, idées multiformes, curieuses, géniales, et, en fait, je ne me rappelle pas avoir jamais entendu là (dans cette célèbre salle de conférences) aucune jolie chose bien apprêtée qui m’ait plu autant que cette chose chaotique. » — C’est que le chaos ne peut être évité avec une semblable méthode, et l’attention finit par être lassée par ce déballage de richesses hétéroclites. Ruskin, dans sa manie de tout étreindre, en arrive à ressembler à cet enfant que rencontra saint Augustin sur une plage, qui prétendait faire tenir la mer dans le trou qu’il avait creusé. On se fatigue à passer d’une notion à une autre ; devant ces évocations de toutes les sciences et de tous les dogmes, l’intelligence nourrie, la mémoire surchargée, se refusent à une plus longue attention. On est rassasié d’idées.


II

Alors se lèvent des images… Comme il sait faire comprendre, Ruskin sait faire voir, et à l’instant où le lecteur lassé, inattentif, va se dérober à la dialectique, le ressaisir par l’imagination. Il nous a montré l’intellectuel dans ce qui n’est, au premier abord, que sensible. Il va rendre sensible ce qui semble, d’ordinaire, purement intellectuel. Il a traduit les images des peintres en idées ; il va traduire les idées des philosophes en images. Pour raconter, il montre ; pour prouver, il peint. S’il plaide en faveur de la simplicité de la composition dans le paysage historique, il ne se contente pas de vous dire que « l’impression est détruite par une multitude de faits contradictoires, et que l’accumulation qui n’est pas harmonieuse est discordante », que le peintre « qui s’efforce d’unir la simplicité à la magnificence, et de guider de la solitude vers les fêtes, et d’opposer à la mélancolie la gaîté, doit nécessairement aboutir à une confuse inanité », et cela parce que « chaque espèce de spectacle a son sens particulier, et que toute introduction de sentiment nouveau et différent affaiblit la force de l’impression première et que le mélange de toutes les émotions doit produire de l’apathie, comme le mélange de toutes les couleurs produit du blanc », — ce qui serait de la question une vue intéressante, mais abstraite. Il expérimente sa thèse esthétique