Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sera par une machination de Bourse, sur un décret de la rue Laffitte.


VI

En vérité, il n’y a pas lieu pour nous d’être fiers d’appartenir à un pays où de pareilles billevesées trouvent créance. Faut-il le rappeler ? Ni la guerre n’est déclarée, ni la paix n’est signée dans le cabinet des banquiers, par les fondés de pouvoir de la finance cosmopolite. La vérité, c’est que les hommes d’affaires cherchent à tirer parti de la guerre, comme de la paix, et que la guerre, aussi bien que la paix, ayant besoin d’argent, les financiers peuvent trouver leur compte à l’une comme à l’autre. On a dit que la guerre exigeant de gros emprunts et faisant monter le prix de l’argent, les préférences des marchands d’argent devaient être pour la guerre. Les lourdes armées qui foulent les peuples seraient, pour les banquiers, comme le sombre laboureur qui herse le sol où semer dans le sang la moisson des écus. Par suite, tout comme l’ancienne féodalité bardée de fer, la nouvelle « féodalité financière » aurait des instincts belliqueux, — non, certes, pour rompre une lance ou pour conquérir la gloire, — mais pour « gaigner », comme disaient déjà les Normands, pour équiper les armées et conclure des marchés, pour émettre de gros emprunts, pour racheter à vil prix les valeurs dépréciées et faire main basse à la fois sur la fortune publique et sur la fortune privée. Pareils à leurs congénères de l’Est en sordides caftans qui suivent l’arrière-garde des armées, allant sur le champ de bataille détrousser les morts ou les blessés pour trafiquer de leurs défroques, on nous a montré les grands banquiers de l’Occident assiégeant de leurs offres les gouvernemens en lutte, pour s’enrichir de la dépouille des peuples. La guerre serait l’architecte des grandes fortunes, aussi bien que des grands empires. Soit ; mais comment oublier que ce XIXe siècle finissant, qu’on nous représente comme inféodé, depuis la Restauration, à la haute banque cosmopolite, a été, somme toute, entre les siècles et les siècles, le plus pacifique de l’histoire ? N’est-ce donc plus de la chute de Napoléon qu’on se plaît à faire dater l’ère de la prépondérance de la haute banque ? Et de fait, pour prendre la plus célèbre maison du continent, si la haute fortune des Rothschild a été ébauchée durant les dernières guerres du premier Empire, c’est durant la longue période de paix, de 1815 à 1854 et à 1859, que la célèbre dynastie financière a établi sa suprématie sur les marchés de l’Europe.

Faut-il peser, ici, les chances de fortune qu’offrent la guerre et la paix ? La guerre, assurément, apporte aux banquiers et aux