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l’emportait de beaucoup sur la déférence envers le chef de l’Église, et lui gardèrent rancune de son peu de complaisance en certaines occasions. Enfin, à tous les esprits de bonne foi, les maux du schisme apparaissaient de plus en plus. La lassitude gagnait tout le monde ; on commençait à souhaiter l’union pour elle-même et quel que fût le pape au profit de qui elle se ferait.

L’Université, qui n’avait suivi Charles V qu’à regret, prit la tête du mouvement ; des prières publiques, des processions auxquelles Charles VI s’associa, en prouvèrent la sincérité. En dépit des singulières tergiversations des princes, il était fini le temps des expéditions militaires que Clément VII était seul à combiner encore, comme fut finie, le jour où Clément VII expira, l’alliance politique de la royauté française avec le pape d’Avignon. Sans doute bien des années s’écoulèrent encore avant que le concile de Constance pût clore définitivement la période du schisme ; les guerres, l’état terrible de la France, elle aussi partagée en deux entre les Armagnacs et les Bourguignons, entravèrent les efforts sincères faits par les partisans des deux obédiences. Le plus grand obstacle vint des papes eux-mêmes qui ne pouvaient se décider à déposer volontairement la tiare ; l’obstination de Benoît XII augmenta la confusion au point que l’on vit trois papes trôner à la fois.

Certes, on aurait bien pu croire, à ce moment, que c’en était fait de la papauté. Déjà la doctrine d’une Eglise sans chef, prêchée jadis en Angleterre par Wycliffe, reprise par Jean Huss, se répandait en Bohême et menaçait de gagner l’Allemagne. Mais le mal arriva presque en même temps à son paroxysme et à son terme ; le concile qui condamna Jean Huss fut aussi celui qui rétablit l’unité. Au bout de peu de temps, grâce à la déposition ou à l’abdication des divers pontifes, l’Eglise entière ne formait plus qu’un seul troupeau, et Martin V, reconnu son unique pasteur, se sentait assez affermi pour tenter de compléter l’unité catholique en rappelant au commun bercail les Grecs séparés depuis Photius. Un siècle plus tard, l’indestructible papauté était de force à résister au formidable assaut de Luther et de Calvin. Elle y perdit un grand nombre de ses fidèles ; mais la scission protestante une fois consommée, l’Eglise du pape a seule regagné du terrain sur les Églises sans le pape. Dieu sait pourtant quelles attaques et quelles épreuves elle eut encore à subir ! Les adversaires qui l’assaillirent deux cents ans après la Réforme, n’étaient plus des croyans rejetant, à grand renfort de dogmes, l’autorité d’un chef en matière de conscience ; c’étaient des incrédules se disant philosophes et recourant plus volontiers aux armes de la raillerie