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En vain ce vieillard impotent proteste ; il secoue la tête pour faire tomber la mitre, mais son neveu qui, pris de je ne sais quelle folle espérance, ne veut pas perdre une chance inattendue d’être le neveu d’un pape, le maintient à coups de poing dans la poitrine tandis que le cardinal de Marmoutiers lui pèse sur les épaules. Cette scène repoussante dura plusieurs heures.

Au milieu des protestations du cardinal de Saint-Pierre-ès-Liens, on avait distingué le nom de l’archevêque de Bari, et ce nom tout italien avait cependant causé une vive déception aux Romains qui avaient pu l’entendre. C’est par leurs cris de colère que Prignano connut son élection, qui lui fut enfin confirmée par Tibaldeschi, lorsque, échappé à la honteuse supercherie dont il avait « té la victime et le complice involontaire, le malheureux vieillard put gagner la chambre papale où tous deux passèrent la nuit. Le tumulte commençant alors à tomber, les cardinaux parvinrent à s’échapper du Vatican. Six d’entre eux se réfugièrent au château Saint-Ange, quatre autres sortirent de Rome. De ce nombre était Robert de Genève qui, après avoir échangé sa cuirasse de la veille contre une armure complète, alla rejoindre, dans le château de Zagarolo, son ami Agapito Colonna.

L’archevêque de Bari était-il vraiment pape ? Ne connaissant les détails de l’élection que par Tibaldeschi, encore tout troublé des émotions qu’il venait d’éprouver, lui-même aurait eu le droit d’en douter ; mais les cardinaux n’en doutaient pas. Dès le lendemain matin, tous ceux qui avaient passé la nuit dans la ville accoururent, et parmi eux celui qui, dans la suite, se montra peut-être le partisan le plus résolu du schisme, Pierre de Luna. « Nous avons élu un vrai pape, disait-il la veille ; les Romains m’arracheraient les membres avant de me faire revenir sur l’élection d’aujourd’hui. » Avant le soir, les six cardinaux réfugiés au château Saint-Ange avaient suivi l’exemple de leurs collègues, et, sans hésitation comme sans regrets apparens, procédaient avec eux à l’intronisation du nouveau pontife. Ce fut même l’un d’eux, Pierre de Vergne, qui fit au peuple la proclamation sacramentelle : « Je vous annonce une grande joie : vous avez un pape et il se nomme Urbain VI. » Enfin, dix jours ne s’étaient pas écoulés que tous les cardinaux ayant pris part au conclave, même ceux qui étaient sortis de Rome, assistaient au couronnement de Barthélémy Prignano et accablaient le nouvel élu de sollicitations et de demandes de faveurs. Rien dans leur attitude ne décelait la contrainte ou la peur par lesquelles ils prétendirent expliquer leur conduite lorsque, au bout de quelques semaines, ils eurent passé de l’absolue soumission à la révolte ouverte.