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nomination d’un capitaine chargé de garder la cité Léonine ; mais ils ne songèrent ni à appeler les compagnies d’aventuriers bretons et gascons qui se trouvaient dans le voisinage, ni à se renfermer dans l’inexpugnable château Saint-Ange dont le châtelain français, Pierre Gandelin, était aussi sûr qu’énergique. C’est tout au plus si, avant de se rendre au Vatican, quelques-uns d’entre eux montrèrent qu’ils avaient conscience du danger en dictant leur testament, ou en prenant congé de leurs amis avec plus d’émotion que de coutume.

D’ailleurs, si l’émeute qui grondait dès lors et qui éclata pendant le conclave, précipita le vote des cardinaux, elle ne paraît pas avoir modifié le choix qu’ils avaient dû faire à l’avance. Sur seize membres du sacré-collège présens à Rome, le groupe ou, suivant l’expression consacrée, la faction la plus nombreuse était la faction limousine. Composée de sept cardinaux, elle avait pour noyau les membres du clergé limousin qui avaient reçu le chapeau sous les papes Clément VI, Innocent VI et Grégoire XI. La faction française proprement dite comptait cinq membres, au nombre desquels se trouvait l’Espagnol Pierre de Luna. Enfin, quatre cardinaux seulement avaient vu le jour en Italie. C’était cependant l’un d’eux qui semblait devoir obtenir le plus de suffrages, et — le croirait-on ? — ce résultat était dû aux efforts de la faction française et principalement à ceux du futur Clément VII, Robert de Genève. On avait d’abord pensé au vieux cardinal de Saint-Pierre-ès-Liens, Tibaldeschi ; puis, sur son refus et dans la prévision de l’exclusion qui pourrait être prononcée contre les autres cardinaux italiens, l’accord avait fini par se faire sur le nom d’un prélat n’appartenant pas au sacré-collège, Barthélémy Prignano, archevêque de Bari. Sujet de la reine Jeanne de Naples, Prignano semblait pouvoir compter sur le bon vouloir de cette princesse que sa situation, comme feudataire et comme voisine du saint-siège, obligeait à ménager ; ancien étudiant de l’Université de Paris, ayant vécu à la cour d’Avignon où il avait longtemps suppléé le chancelier, il s’était trouvé en relations avec tous les cardinaux. On le savait habile en affaires, pur dans ses mœurs ; on le croyait humble et conciliant. Ceux qui furent par la suite les plus ardens Clémentins le regardaient alors comme l’Italien le plus digne d’être élu. On pouvait donc espérer qu’il réunirait au moins neuf ou dix voix, chiffre très voisin de la majorité des deux tiers nécessaire à la validité du scrutin. Son élection était assurée, et les violences qui l’entourèrent eurent des conséquences absolument contraires aux désirs de leurs auteurs ; elles fournirent un prétexte à ceux qui